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lumière avec un relief et je dirais presque une liberté saisissantes, se distingue de loin et se dessine avec une netteté toujours grandissante à chacun des pas qu’on fait vers elle. Cette statue est une œuvre de mérite de M. Dumont. Elle a subi un certain nombre de critiques que je me permettrai de ne pas toujours trouver justes. Je lui ai rendu jusqu’à trois visites, et j’ai pris soin d’en faire le tour pour l’avoir sous tous ses aspects ; elle se soutient parfaitement et laisse l’œil satisfait, de quelque point qu’on la regarde. Le manteau militaire jeté sur l’épaule du maréchal n’est peut-être pas attaché assez solidement, car on ne voit pas comment il tiendrait si l’on suppose un léger mouvement du corps ; mais, cette petite critique faite, il faut reconnaître qu’il retombe en beaux plis et qu’il forme une noble draperie. La figure est bien campée, dans une attitude ferme sans raideur, et martiale sans démonstration extérieure. L’artiste à judicieusement évité toute pantomime militaire du geste et toute expression dramatique de physionomie comme contraires à cette énergie concentrée et à cette tranquillité presque implacable, tant elle est profonde, qui sont les caractères les plus prononcés de l’illustre homme de guerre. Il n’est pas facile de faire comprendre par le bronze que le génie militaire du prince d’Eckmühl était encore plus dans la pensée que dans l’action, qu’il consistait dans une méditation profonde de la guerre plutôt que dans l’entraînement passager et dans l’accès de fièvre belliqueuse des jours de bataille. Pour qu’une statue du maréchal Davout fût parfaite, il faudrait que tout spectateur pût dire en la voyant : l’homme dont voici l’image était le maître de son art terrible, il n’en était pas l’esclave. Or un génie militaire qui relève avant tout de l’intelligence et du caractère offrira toujours au sculpteur des difficultés bien plus considérables qu’un génie militaire qui relève du tempérament et de la passion. Une statue du prince de Condé sera toujours plus aisée à exécuter qu’une statue de Turenne, une statue de Vendôme qu’une statue de Catinat ou de Vauban, une statue de Murat qu’une statue de Davout. M. Dumont a senti cette difficulté, et il s’est tourmenté pour la résoudre. Le moyen qu’il a trouvé est ingénieux et non sans bonheur ; on ne peut lui faire qu’un seul reproche, c’est qu’il est tellement fin qu’il sera difficilement saisi par le plus grand nombre des curieux. Une des mains du maréchal tient la lorgnette militaire à la hauteur des yeux, l’autre repose sur son sabre, mais y repose si légèrement qu’on peut dire qu’elle l’effleure plutôt qu’elle ne le touche. Par là l’artiste a voulu indiquer que Davout était une intelligence et non un militaire de l’ordre de ceux qu’on appelle des sabres en langage d’atelier, que son arme véritable était l’instrument scientifique et non le brutal instrument de mort, que ce sabre