Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, dira-t-on, il était dur envers les populations conquises et les pays occupés, — et il me souvient que le pauvre Heine, dans son poème sur l’Allemagne, a contribué lui-même à répandre cette opinion. Ici encore, pour trouver l’explication de cette prétendue dureté, il suffit de faire appel au bon sens. Comme tous les hommes de génie, en quelque genre que ce soit, le maréchal Davout a obéi pendant toute sa carrière à deux ou trois idées d’une extrême simplicité. La plus importante de ces idées est celle-ci : « L’état de guerre étant un état particulier doit nécessairement avoir ses lois propres. » Savoir quelles sont ces lois et leur obéir sont les deux devoirs que la logique impose à tout chef d’armée, sous peine de périr. Si dans la vie ordinaire nous voyons un homme qui prétend se soustraire à l’action de la nature et agir contre ses lois, nous prévoyons que l’issue de sa folie sera la mort. Nous pouvons prédire le même sort au général qui serait assez mauvais logicien pour apporter dans l’état de guerre des principes d’action qui appartiennent à l’état de paix. Or un de ces principes, et le plus important, impose au chef d’armée de faire à l’ennemi non pas tout le mal possible, mais tout le mal qui est nécessaire ; sur ce point il n’y a pas à hésiter, car le salut est à ce prix. Mais l’humanité en gémît, dira-t-on ; eh bien ! qu’elle sèche ses larmes. Plaisante objection en vérité ! la guerre est-elle donc une chose humaine ? Admettons cette objection cependant, quoiqu’elle ne vaille rien. En examinant les choses à fond, nous découvrirons que les intérêts de l’humanité sont d’autant mieux sauvegardés que les lois de la guerre sont plus strictement observées. Serait-ce être humain par hasard que de l’être aux dépens de ses frères d’armes, de ses soldats, et finalement de son pays ? Voilà le principe inattaquable par la logique qui a dirigé invariablement la conduite de Davout. Et maintenant quand on essaie de faire le compte de ces prétendus actes de dureté on trouve que le tout se réduit à l’occupation de Hambourg. Soit, admettons qu’il ait été dur en cette circonstance, à qui revient la responsabilité de cette dureté ? Il n’est aucun des lecteurs de M. Thiers qui ne sache quelle était la nature des instructions envoyées par Napoléon à Davout, qui ne se rappelle que, loin de les exécuter à la lettre, le maréchal en retrancha précisément toutes les violences qui blessaient inutilement l’humanité, et que le tout s’est borné à un strict état de siège et à des contributions plus ou moins arbitrairement levées selon les lois de la guerre. Il est vrai de dire cependant que la sévérité de son caractère bien connu tenait la population dans un état de terreur extrême ; mais, s’il fit grand peur, il fit peu de mal, et d’ailleurs il entrait dans sa politique de causer un effroi qui le dispensait d’une sévérité réelle, ainsi qu’en témoigne l’anecdote suivante.