Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

actuel de la monarchie autrichienne, sont les ennemis irréconciliables des Slaves ; séparés eux-mêmes autrefois par des haines séculaires, ils se sont réunis pour opprimer des peuples qui représentent la moitié de l’empire. Les Allemands de la Cisleithanie étouffent les Tchèques de Bohême et les Polonais de la Gallicie, comme les Magyars de la Transleithanie étouffent la voix des Slaves du sud, Croates et Transylvains. Quand M. de Beust imagina le partage de la monarchie entre les Allemands de l’archiduché et les Magyars de la Hongrie, on crut que c’était le commencement d’une organisation fédérale qui, donnant satisfaction à tous les droits, transformerait l’Autriche pour la sauver. Aujourd’hui que les Allemands d’une part, les Hongrois de l’autre, prétendent faire de cet arrangement la loi définitive de l’empire et résistent avec injure à toute idée de fédération, les Slaves, poussés à bout, ont toujours involontairement les yeux tournés vers la Russie. On peut dire qu’il y a là un danger de mort pour la monarchie autrichienne. Selon le tour que prendront ces luttes intestines, il peut en sortir du soir au lendemain des événemens qui disloqueront l’empire. Une question capitale surtout, ce sont les tentations que l’Allemagne et la Russie, chacune de son côté, offriraient à l’Autriche. Suivant les circonstances, une moitié de l’Autriche peut tendre vers l’Allemagne, tandis que l’autre moitié tendrait vers la Russie. C’est précisément ce qui a lieu en ce moment même, et l’on devine aisément quelles émotions devait produire dans un pays si agité une nouvelle conçue en ces termes : sur l’invitation de l’empereur d’Allemagne, l’empereur d’Autriche va se rendre à Berlin.

Les Hongrois et les Allemands de l’Autriche en poussaient des cris de joie ; les journaux du comte Andrassy triomphaient. On sait que le comte Andrassy, l’habile homme d’état magyar, est chargé aujourd’hui de faire fonctionner ce système du dualisme imaginé en 1867 par M. le comte de Beust et M. Franz Deak. Exécuteur fidèle du plan politique des Hongrois, M. le comte Andrassy est l’adversaire résolu des Slaves d’Autriche ; il est obligé par conséquent de surveiller de très près la politique russe, toujours tentée de prendre les Slaves sous son patronage, ou du moins toujours soupçonnée de céder à une tentation si naturelle. Si l’entrevue de l’empereur François-Joseph avec l’empereur Guillaume Ier annonçait une alliance entre l’Autriche et l’Allemagne, le comte Andrassy pouvait être rassuré pour longtemps ; le gouvernement austro-hongrois se trouvait en mesure de dédaigner l’opposition des Slaves sans rien craindre du cabinet de Saint-Pétersbourg. En un mot, l’entrevue des deux empereurs était une victoire pour les Allemands et les Hongrois de l’Autriche, elle était un échec et un échec très-menaçant pour les Slaves.