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IV

Ainsi tout nous ramène à la conclusion que nous avons déjà énoncée, d’accord avec la meilleure partie de la presse allemande, au début de ce travail. Nous avons écarté la première idée qui s’était présentée aux esprits, l’idée d’une nouvelle sainte-alliance formée par les héritiers des souverains qui avaient conclu celle de 1815 ; nous avons débrouillé les conjectures si diverses auxquelles ont donné lieu les invitations parties de Berlin ; enfin nous avons discuté l’un après l’autre les cas déterminés qui pouvaient être l’objet d’une action en commun de la part des trois empereurs. Chacune de ces études affermit en nous la même conviction : l’empereur Guillaume n’a eu qu’une visée incontestable, il a voulu obtenir de l’empereur François-Joseph une visite solennelle qui fût, aux yeux du monde, la reconnaissance de l’empire des Hohenzollern par l’héritier dépossédé de l’empire des Habsbourg. Comment ne pas ajouter avec la Réforme : « Une telle invitation, à laquelle la politique ne permettait pas de se soustraire, n’a pu être acceptée qu’avec un profond sentiment d’amertume ; elle a consacré le triomphe du vainqueur ; il n’en sortira aucune alliance sincère ! »

Les publicistes allemands auraient voulu découvrir dans les motifs de l’entrevue de Berlin quelque chose de bien plus considérable. Si l’on démontre que tel ou tel plan imaginé par eux est contraire à toute vraisemblance, ils se rejettent sur les généralités. Les uns, dans leur exaltation, croient déjà voir Berlin devenue la capitale du monde ; Vienne et Saint-Pétersbourg ne sont que ses satellites. L’empire qui s’y élève sera forcément un empire d’un ordre intellectuel supérieur, une sorte de césarisme hégélien, qui transformera les destinées du genre humain. Les autres, plus modestes, se bornent à célébrer la paix européenne assurée à jamais par l’amitié des trois puissans monarques. Tous d’ailleurs, amis du passé ou rêveurs de je ne sais quel avenir, s’unissent dans un même enthousiasme. La nouvelle carte d’Europe leur donne des éblouissemens, la statistique les enivre. « Le continent européen, dit le Messager de la frontière, embrasse une étendue de 181, 700 lieues carrées et renferme 296 millions d’habitans ; dans ce chiffre total, il y a 121, 500 lieues carrées et 147 millions d’habitans pour les trois empires d’Allemagne, de Russie et d’Autriche. Les trois empires peuvent mettre sur pied plus de 3 millions de soldats et imposer la paix à l’Europe. » Après cela viennent les dénombremens homériques, la revue des princes, des maréchaux, des brillans états-majors qui accompagnent les trois souverains, une contre-partie