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l’histoire et de la géographie, des sciences et des exercices du corps. Si par hypothèse on supprimait (ce qu’à Dieu ne plaise !) le latin et le grec, il resterait encore un enseignement complet, tel qu’on le donne par exemple dans les écoles secondaires spéciales ; et en supposant que l’on attribuât à cet enseignement un caractère à la fois plus savant et plus esthétique, que l’on fît dans les langues vivantes des compositions d’imagination semblables à celles qu’on fait en latin, il ne serait pas difficile de maintenir les élèves huit ans sur ces études, comme on le fait aujourd’hui et comme on le faisait autrefois avec le latin. Nos élèves reçoivent donc de fait deux enseignemens, qui, sauf quelques matières communes, pourraient être entièrement séparés, et dont l’un, l’enseignement classique, est le double de ce qu’il était primitivement.

Encore une fois, ce n’est la fantaisie de personne, c’est une nécessité absolue et toujours croissante qui a conduit à un tel état de choses, et qui a contraint l’Université à faire une part de plus en plus grande à l’enseignement moderne dans nos études. Quelque effort que fassent en tout temps les écoles, pour se maintenir intactes en dehors du monde, elles ne peuvent cependant échapper à l’influence des milieux au sein desquels elles sont établies. Notre éducation classique elle-même a été dans son temps une éducation révolutionnaire ; elle est née du mouvement de la renaissance contre la scolastique. Le grec, le latin même comme langue littéraire, n’étaient pas au XVIe siècle des traditions, c’étaient des nouveautés. Le cicéronianisme, contre lequel s’insurgent aujourd’hui nos philologues germanisans, a été lui-même, à son jour, une généreuse insurrection contre la barbarie, et Ramus payait de sa vie à la Saint-Barthélémy le tort d’avoir voulu donner à la logique un tour littéraire et élégant.

S’il a été nécessaire à la société moderne, lors de la renaissance des lettres, de se retremper et de se polir dans l’étude des grandes littératures classiques et de renouer par elle cette chaîne de civilisation que l’invasion des barbares avait interrompue, il n’est pas moins nécessaire aujourd’hui, sans rompre cette tradition sacrée, de se préparer aux conditions nouvelles de la civilisation contemporaine. Trois faits généraux caractérisent cette civilisation ; ce sont le développement prodigieux des sciences et de l’industrie depuis un ou deux siècles, — l’établissement d’institutions politiques plus ou moins libérales dans les pays les plus civilisés de l’Europe, — l’extension des voies de communication et par conséquent des relations entre les peuples. Ces faits ne sont pas absolument nouveaux dans le monde, car ce sont eux qui constituent en quelque sorte la civilisation elle-même ; mais ils ont pris de nos jours de telles proportions qu’ils suffisent à caractériser notre société. Comment la