Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représente sous les couleurs les plus fausses, et que ses défenseurs eux-mêmes ne se sont jamais placés qu’au point de vue de l’utilité.

L’histoire de l’éducation explique aussi très bien et pourquoi cet enseignement moderne a été presque partout subordonné à l’enseignement classique, et pourquoi il a commencé à réclamer sa part en l’exigeant de plus en plus grande. A l’époque où l’éducation classique, constituée à peu près telle qu’elle l’est aujourd’hui, a pris naissance, la civilisation moderne n’existait point encore ; elle sortait du moyen âge, et s’efforçait d’en secouer le joug, qui n’était pour elle que celui de la barbarie. Où pouvait-elle trouver une source de culture et de lumières, si ce n’est dans les lettres anciennes ? Elle n’aspirait qu’à retourner à l’école ; le retour aux anciens était alors une délivrance. Ce mouvement libérateur fut appelé la renaissance, tant on était éloigné alors de songer à autre chose qu’à une restauration du passé ; mais depuis cette époque, c’est-à-dire depuis bientôt quatre siècles, la civilisation moderne est passée de l’enfance à la jeunesse et à la maturité. Les grandes littératures modernes sont nées, et elles ont aujourd’hui leurs classiques. Pétrarque et le Tasse, Racine et Corneille, Shakspeare et Milton, Goethe et Schiller, n’ont plus à faire leurs preuves, et sont les rivaux d’Homère et de Virgile, d’Eschyle et de Sophocle. — Les grandes nations modernes se sont constituées, elles ont subi et elles attendent des révolutions auprès desquelles les luttes politiques d’Athènes et de Rome semblent des querelles de village : enfin la science est devenue la maîtresse du monde ; tout relève d’elle, et l’art de nourrir et l’art de détruire. Le mot de Bacon, savoir, c’est pouvoir, se réalise chaque jour avec une merveilleuse vérité. Supposer qu’avec de tels états de services et le sentiment croissant de ses forces la civilisation moderne consentira toujours à rester, comme au XVIe siècle, tributaire et dépendante à l’égard de l’antiquité, c’est aller au-devant de cruels démentis. Évidemment elle cherchera à pénétrer de plus en plus dans le temple de l’éducation, elle voudra que la jeunesse soit élevée pour elle et par elle, et, si l’on ne veut s’exposer dans un temps donné à une révolution radicale, il faut par une série de réformes judicieuses faire la part nécessaire à des besoins nouveaux.

Nous sommes précisément à l’un de ces momens critiques où le passé et le présent luttent pour la prépondérance dans nos écoles, aussi bien que dans la société. La crise actuelle n’est qu’un cas particulier de la crise générale que nous traversons. Sans nous perdre dans ces hautes généralités, et pour revenir à quelques points précis, examinons quelques-unes des conséquences que paraît devoir entraîner l’introduction définitive des langues vivantes