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des estampes, et que le hasard des enchères dispersait maintenant entre toutes mains.

Passe encore lorsque ces admirables pièces ne quittaient la salle de vente que pour entrer dans quelque collection particulière. Tout espoir de les reconquérir un jour n’était point par cela même absolument perdu, et plus d’une fois en effet, avant la fin du dernier siècle comme dans le cours de celui-ci, certains monumens anciens de la gravure provenant du cabinet de Mariette ont pris à la Bibliothèque la place dont un fâcheux concours de circonstances les avait d’abord éloignés[1] ; mais pour les estampes devenues le lot de quelques grandes collections publiques, pour toutes celles par exemple qui, au lendemain de la vente, étaient allées s’immobiliser dans les musées de Dresde et de Vienne, qu’attendre de la fortune et de l’avenir ? Le mal de ce côté restait sans remède, le préjudice irréparable. Bien qu’une fois maître du crédit que Turgot lui avait tardivement ouvert Joly se soit efforcé de regagner quelque chose du temps et des occasions perdus, bien que, entre autres acquisitions précieuses, il ait assuré à la Bibliothèque la possession de magnifiques épreuves, retouchées par le peintre lui-même, des principales planches gravées d’après les tableaux de Rubens[2], — la privation de l’ensemble des trésors qu’avait laissés Mariette n’en est pas moins la plus cruelle déception, la plus grande mésaventure dont le souvenir se rattache à l’histoire du cabinet des estampes. Si l’on jette les yeux sur le catalogue dans lequel figurent tant d’articles d’élite, tant de belles œuvres ou de raretés dignes de s’ajouter à celles qu’avait autrefois recueillies l’abbé de Marolles, on appréciera l’étendue de ce que Joly pouvait sans exagération appeler un « déplorable malheur pour le pays. »


IV

A défaut d’une compensation aussi introuvable d’ailleurs dans l’avenir que dans le présent, y eut-il du moins pour le cabinet des

  1. Ainsi en 1784 la mise en vente de la bibliothèque du duc de La Vallière permit au cabinet des estampes d’acquérir ce bel exemplaire des Triomphes de Maximilien, que Joly, huit ans auparavant, se lamentait d’être condamné à laisser passer. De nos jours encore, bon nombre d’estampes ayant appartenu à Mariette, et dont la provenance est constatée par la signature apposée sur le verso de chacune d’elles, ont été et continuent d’être ressaisies pour le cabinet des estampes au fur et à mesure des occasions. Toutefois combien d’autres pièces de même origine transportées en 1775 à l’étranger n’ont fait depuis lors ou ne feront que changer de destination sur place et ne repasseront jamais nos frontières !
  2. Les acquisitions faites à la vente Mariette par le cabinet des estampes donnèrent un total de 12,504 pièces.