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qui constitue la gravure, ses progrès, sa conservation, en un mot ce qu’elle a d’unique et de rare, M. Mariette a rassemblé ces miracles. Son cabinet passant dans celui du roi, il faudrait, pour ainsi dire, ne le communiquer que par permission expresse de sa majesté. » Par malheur, ni le roi, ni le garde du cabinet des estampes, n’eut à prendre ces précautions. Il fallut s’arrêter devant les prétentions des héritiers de Mariette que le succès d’une première vente composée seulement des doubles de la collection avait mis en goût de rêver, quant au prix qu’ils tireraient de cette collection même, fort au-delà du vraisemblable et du juste, et bien qu’au dernier moment les mandataires du ministre eussent été jusqu’à offrir la somme énorme pour l’époque de 300,000 livres, la vente en détail qu’on avait voulu prévenir fut irrévocablement décidée[1].

L’unique ressource était donc l’obtention d’un crédit qui permît à la Bibliothèque de s’approprier au moins une partie des pièces les plus importantes et d’enlever aux compétiteurs ces chefs-d’œuvre de la gravure, comme de son côté l’administration du Louvre devait s’efforcer de conquérir les principaux dessins. En réponse aux pressantes sollicitations de Joly, Turgot décida qu’une somme de 50,000 livres serait mise à la disposition du garde du cabinet des estampes, « afin d’augmenter ce cabinet des morceaux de première rareté qui se trouveraient manquer ou de ceux qui mériteraient d’être acquis à cause de la beauté supérieure des épreuves ; » mais, quelque diligence qu’il crût avoir faite, Turgot accordait cette autorisation trop tard. Lorsque Joly reçut la lettre qui lui en donnait avis, huit jours s’étaient écoulés déjà depuis l’ouverture de la vente, et l’on devine avec quelle douleur le pauvre homme, durant ces huit premières vacations, avait vu adjuger à autrui, sans pouvoir même en disputer une seule, tant d’estampes précieuses dont il s’était promis d’enrichir notre dépôt national. Ce qui lui échappe ainsi pendant ces jours funestes, c’est un exemplaire, unique dans les conditions où il se trouve, des Triomphes de l’empereur Maximilien, « ce chef-d’œuvre, écrit tristement Joly, de la gravure en bois par le célèbre peintre Albert Dürer, » et qui n’est vendu que 900 livres ; c’est un œuvre de Marc-Antoine, composé de plus de 700 estampes, « toutes de la plus grande beauté et en perfection d’épreuves ; » ce sont encore bien d’autres morceaux de choix pointés d’avance sur le catalogue comme le butin réservé au cabinet

  1. La vente des doubles, qui eut lieu en janvier et en mai 1775, ne produisit pas moins de 69,000 livres. Quant à l’ensemble des dessins et des estampes que les héritiers de Mariette avaient refusé de céder au roi pour la somme de 300,000 livres, la vente qui en fut faite à partir du 15 novembre 1775 ne produisit qu’un chiffre inférieur de 11,500 livres à cette somme.