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sens nécessaire d’une impression directe, — adieu la possession de son secret et de soi-même, adieu toute précaution conseillée d’abord par la prudence, toute crainte de susciter des compétiteurs ou d’être arrêté par une objection ! Rien de plus naïvement enthousiaste, mais d’un enthousiasme bien légitime après tout, que le récit fait par Zani lui-même de ses émotions au moment où, toutes les preuves recueillies, il se sentit enfin en mesure de divulguer sa découverte. « Ma plume, dit-il, est impuissante à décrire ce que j’éprouvai pendant cet instant fortuné… Mon cœur nageait dans un océan de félicité inconcevable… Je fis part de ma trouvaille à M. Joly, l’homme le plus aimable que je connaisse et le très digne garde du cabinet de Paris, aux employés sous ses ordres, à plusieurs amis parmi lesquels se trouvait le célèbre M. Denon, qui voulut dessiner mon portrait dans l’attitude même où il m’avait vu, la loupe à la main et les yeux fixés sur cette chère petite feuille de papier[1]. »

Un employé alors très jeune du département des estampes, qui devait, quarante-trois ans plus tard, en devenir le conservateur, M. Duchesne, assistait à cette scène des confidences finales, et il l’a racontée à son tour. « Il serait difficile, écrivait-il dans son Essai sur les nielles, de peindre la joie de l’estimable abbé Zani au moment où, ayant acquis la certitude de sa découverte, il s’empressa de nous en faire part. Cet excellent homme était tellement sourd qu’il entendait à peine les complimens qu’on lui faisait ;… s’exprimant avec beaucoup de difficulté en français, il cherchait par momens à se faire mieux comprendre en parlant italien ; puis, pour s’exprimer mieux encore, il se servait de phrases latines que sa prononciation rendait presque inintelligibles, ou d’expressions techniques,… niello, niellare, niellatore, dont le sens ne nous était pas connu, — le tout entremêlé d’exclamations joyeuses… L’agitation dans laquelle était l’abbé Zani devait paraître d’autant plus singulière que depuis six mois qu’il venait, tous les jours, travailler à la même place, son infirmité le rendait semblable à un terme, et l’empêchait de prendre part à rien de ce qui se passait autour de lui… Je n’oublierai jamais la scène que produisit l’état d’enthousiasme où se trouvait ce digne abbé Zani. Elle m’a frappé si fortement qu’après plus de vingt-cinq ans elle est encore parfaitement présente à mon esprit. »

Un pareil événement était en effet de nature à laisser de profonds souvenirs. Grâce à la découverte de Zani, cette question de priorité, si longtemps débattue, se trouvait définitivement tranchés, et la

  1. Materiali per servire alla storia dell’ incisione, p. 49 et suiv.