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qu’elle garantit, mieux qu’aucune autre, le respect de la conscience nationale et la maturité de ses décisions. Que ces grands philosophes s’amusent, si bon leur semble, à cribler de leurs sarcasmes un gouvernement qui n’a d’autre but que de rendre le pays à lui-même en le guérissant de toute superstition politique, en l’affranchissant du joug des partis ; qu’ils essaient en même temps de nous imposer par l’intimidation ou par l’intrigue des solutions hâtives et des gouvernemens de contrebande. : nous ne sommes pas inquiets de leurs tentatives ; nous savons qu’elles n’auront d’autre effet que de les rendre odieux au pays.

Oui certes, il y a chez nous beaucoup d’esprits forts, corrompus par le spectacle de nos révolutions incessantes, qui en sont venus à se faire des destinées d’un grand peuple comme le nôtre l’idée immorale que les Romains de la décadence pouvaient se former des révolutions de palais qui élevaient ou renversaient leurs maîtres éphémères. Il y a en France un grand nombre d’hommes honnêtes et éclairés, mais profondément sceptiques, qui s’imaginent que l’établissement de tel ou tel régime politique est une affaire de hasard et d’arbitraire, une espèce de loterie où l’on peut risquer indifféremment sur une carte ou sur une autre l’avenir du pays que l’on gouverne. Ils pensent qu’on peut affubler indifféremment une nation d’une république ou d’une monarchie, d’une royauté constitutionnelle ou d’une dictature militaire, comme on fait endosser divers costumes à un figurant de théâtre, et que les gouvernemens eux-mêmes font l’opinion publique, par laquelle ils feignent de se laisser guider. Ces hommes-là considèrent l’histoire comme une série de coups de force, d’escamotages heureux et de travestissemens improvisés ; mais, Dieu merci, l’histoire n’est pas encore aussi immorale : elle a encore des lois certaines, une logique inexorable, une philosophie, une justice ; Les gouvernemens qui s’improvisent au mépris de la raison et de la morale de l’histoire ne fournissent jamais une bien longue carrière. Ils tombent comme ils se sont élevés, frappés dès leur naissance d’une condamnation qui s’exécute tôt ou tard, mais à laquelle ils n’échappent jamais. Les seuls gouvernemens qui durent sont ceux qui se fondent sur les besoins d’un pays, sur les intérêts communs des classes, sur l’apaisement des partis, et qui ne débutent pas avec violence, mais avec réflexion et maturité. Tels sont les caractères de la république conservatrice, et c’est pour cela qu’en dépit des railleries de nos hommes d’esprit, des répugnances de nos hommes timides, des ambitions turbulentes de nos hommes de parti, sa politique simple et loyale finira par prévaloir.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.