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Charenton-Saint-Maurice, un hôpital de 7 lits, qu’il nomma Notre-Dame de la Paix, et il en confia la direction aux frères de la charité, qui s’y installèrent le 10 mai 1645. La fondation primitive a été respectée, et s’appelle aujourd’hui la salle du canton. L’institution se développa, reçut des pensionnaires et rendait de sérieux services à la population, lorsqu’elle fut supprimée par un décret du 12 messidor an III, qui dispersait la communauté religieuse, et ordonnait de rendre les malades à leurs familles ou de les interner aux petites-maisons. Un arrêté du directoire, en date du 27 prairial an V, la rétablit en la plaçant dans les attributions du ministère de l’intérieur, où elle est encore.

Un seul hôpital acceptait alors les aliénés ; c’était l’Hôtel-Dieu, et, pour le traitement qu’il leur réservait, il eût mieux fait de les repousser. Deux salles leur étaient consacrées, — l’une pour les hommes renfermant 10 lits à quatre places et 2 lits à deux places ; — l’autre pour les femmes contenant 6 lits à quatre places et 8 lits à deux places. La première était contiguë aux salles des blessés, la seconde aux salles des fiévreux. Le traitement thérapeutique était absolument nul ; quant au traitement moral, on en jugera par les lignes suivantes que nous empruntons textuellement à un rapport manuscrit rédigé en 1756 par les médecins de l’Hôtel-Dieu. « Quoique la salle Saint-Louis et celle de Sainte-Martine soient, pendant tout le cours de l’année, remplies de personnes qui ont l’esprit aliéné, on voit cependant tous les jours les hommes et les femmes destinés au service de ces salles se conduire comme s’ils n’étaient pas accoutumés à ces sortes de maladies : on s’attroupe autour des insensés, on s’occupe de leur folie, on rit de leurs extravagances ; autres fois, on s’amuse à les obstiner, à les contrarier, à les mettre en colère, surtout à la salle des femmes. » Tenon, en 1786, constate la même absence de soins et d’humanité : « comment a-t-on pu espérer qu’on traiterait des aliénés dans des lits où l’on couche trois ou quatre furieux qui se pressent, s’agitent, se battent, qu’on garrotte, qu’on contrarie dans des salles infiniment resserrées, à quatre rangs de lits où, par un malheur inconcevable, on rencontre une cheminée qui n’éteint jamais ! » Enfin en 1791, La Rochefoucauld-Liancourt, revenant sur les mêmes faits, demande la création de deux établissemens exclusivement réservés aux aliénés. On ne lui donna pas raison immédiatement ; mais l’arrêté de prairial, qui reconstituait l’hospice de Charenton, défendit de recevoir les fous dans les hôpitaux de Paris. On n’obéit pas sans doute bien ponctuellement, car un nouvel arrêté du 19 frimaire an vu interdit absolument l’admission des aliénés à l’Hôtel-Dieu à partir du 1er pluviôse de la même année. Bicêtre et la Salpêtrière, tout en gardant leur triple et déplorable caractère de prison, d’hôpital, d’asile pour