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plus que jamais de l’Orient. L’extension du christianisme faisait pencher encore davantage vers l’Orient le centre de gravité. A un monde renouvelé il fallait une capitale nouvelle, située dans la région asiatique, à la rencontre des grands courans que nous avons étudiés. Dioclétien avait eu comme l’intuition de cette nécessité lorsqu’il avait établi sa résidence à Nicomédie, où se produisit fatalement le choc de tant d’élémens hétérogènes. Constantin, qui voulait empêcher une nouvelle collision et préparer une fusion, se mit à son tour en quête. On dit que Troie l’attira tout d’abord ; mais, quand il eut examiné attentivement Byzance et la Thrace, ses hésitations cessèrent. La contrée tout entière était admirablement défendue par les ramifications de l’Hémus et du Rhodope. La ville, non moins bien protégée par une série de détroits, communiquait facilement avec toutes les provinces de l’Orient. C’était une position intermédiaire entre le Danube et l’Euphrate, entre l’empire goth et l’empire perse, également menaçans.

Héritier d’une longue série d’augustes et de césars, Constantin ne pouvait, ni ne voulait, en fondant Constantinople et le bas-empire, répudier complètement les souvenirs de Rome. Rome fut officiellement le type de cette création politique. On constata que sur les bords du Bosphore, comme sur ceux du Tibre, s’élevaient sept collines. Les chefs-d’œuvre de l’art furent transportés à grands frais d’Athènes, de Rome même à Constantinople ; les personnages les plus distingués émigrèrent comme les chefs-d’œuvre. On établit des jeux de cirque, des distributions gratuites de blé. Rome conservait son grenier, l’Afrique ; Constantinople eut le sien, l’Égypte. Grâce à cette libéralité, on eut un démos, une plèbe, plus turbulente, moins politique que celle de Rome, parce qu’elle était hellénique ou, pour être plus exact, pélasgique. Aussi bien on répudia les noms de Thraces, de Mysiens, de Phrygiens, pour adopter celui de Romains. Les Byzantins oublièrent volontiers les Léonidas, les Périclès, pour ne songer qu’aux Scipions et aux Césars. La nouvelle Rome eut son capitole, sa curie, son sénat. Ce sénat, synclêtos, privé de toute influence politique, devint la grande école de la diplomatie, science toute byzantine, qui procédait directement de la théologie, et lui empruntait toutes ses subtilités comme toutes ses ressources. Constantin ne se souciait pas moins de l’avenir que du passé ; or l’avenir, dans l’ordre religieux comme dans l’ordre politique, c’était le christianisme. Destructeur de la tétrarchie de Dioclétien, il voulut étayer le dogme de l’unité impériale sur le dogme de l’unité divine. L’empereur unique et le Dieu unique, ayant chacun une juridiction bien distincte, ne pouvaient se porter ombrage. L’Évangile ne disait-il pas à ses sectateurs : « Rendez à César ce qui