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avaient été, comme nous l’avons dit, réconciliées dans le Panthéon par Alexandre Sévère. Bien plus, Vénus s’était identifiée avec Astarté et Aphrodite, — Mercure avec Melkart, Hermès et Teutatès ; mais cette mythologie si bien ordonnée, si régulièrement administrée, n’exerçait plus d’empire sur les âmes. L’histoire de chaque divinité était soumise à l’examen d’une critique pénétrante et railleuse. Le mysticisme, la théurgie, la magie, eurent beau s’ingénier, ils ne purent pas rendre l’existence à cet olympe cosmopolite. Ce monde sceptique et corrompu, que Lucien nous a dépeint, fut menacé un instant de tomber dans l’athéisme le plus complet.

Depuis deux siècles pourtant avait surgi une religion nouvelle qui devait s’étendre à tout l’empire. Sortie de la Judée monothéiste, elle avait été singulièrement transformée et enrichie par l’hellénisme avant de se propager au loin à la faveur de l’unité romaine. Antioche l’avait saluée des noms d’Évangile et de Christianisme. Le christianisme avait d’abord limité son action à la démocratie des villes asiatiques, tandis que l’aristocratie se passionnait pour le stoïcisme. Là se formèrent ces associations fraternelles qui parurent redoutables à Pline le Jeune et à Trajan. Quand la religion du Christ gagna les campagnes de la Syrie et de la Cappadoce, le monachisme, emprunté sans doute à la Perse et à l’Inde, s’y constitua fortement. Pour conquérir les hautes classes, l’Évangile devait préalablement s’accommoder aux habitudes et aux procédés philosophiques de l’Orient. Saint Jean avait fait de très bonne heure une remarquable tentative dans ce sens. Irénée, Clément d’Alexandrie, surtout Origène, furent les propagateurs philosophiques du christianisme, qui pénétra dans l’école néo-planoticienne. Le christianisme devint lui-même néo-platonicien, ou, si l’on aime mieux, alexandrin, théologique ; dès lors il n’inspira plus de répugnance qu’aux rhéteurs, qui obéissaient à leurs préjugés littéraires. Organisé par des Grecs, mais sur un plan tout romain, il put sans désavantage engager la lutte avec les empereurs, qui virent en lui un ennemi avant d’y voir un allié. Mieux avisé que Galérius, Constantin sut utiliser pour lui-même cette grande force longtemps secrète et subitement révélée. A côté du christianisme démocratique et du christianisme théologique, on eut désormais le christianisme politique.


III

Si le nom de Rome commandait toujours le respect, Rome elle-même avait cessé d’être le centre de l’univers. Ce n’était plus de Rome que partaient les idées élevées et fécondes ; ces idées venaient