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demeure si délaissée, entrait dans sa cathédrale, à la solitude succédait, le plus nombreux et, le plus sympathique des cortèges. Autant les fonctionnaires de tout ordre évitaient tout rapport avec l’ennemi d’Augusta, autant le peuple, mû par de tout autres considérations, était irrésistiblement entraîné vers lui, voulait le voir et l’entendre. Là il était vraiment patriarche, vraiment empereur. C’est dans le sanctuaire qu’il pouvait librement, impunément, glorifier le pauvre, seul courageux, seul désintéressé, et dénoncer le riche accapareur, éhonté et cruel. À cette multitude fanatisée, il redisait sans cesse : « Je vous aime comme vous m’aimez. Que serais-je. sans vous ? Vous êtes mon père, vous êtes ma mère, mes frères, mes enfans ; vous m’êtes tout au monde ! » Chrysostome, comme le fait remarquer son historien, rappelait les tribuns de l’ancienne Rome ; mais ajoutons que chez lui le prophète donnait au tribun une physionomie singulière et surhumaine. S’il menaçait au nom du peuple, il menaçait encore bien plus au nom du ciel. Dans ses rares momens de calme, il résumait ainsi sa doctrine politique : « il faut obéir aux princes, surtout quand ceux-ci obéissent eux-mêmes aux lois de l’église, » maxime assez peu rassurante pour les princes. Le peuple de Byzance, anarchique et dévot, applaudissait.

Lorsque Chrysostome sortit de sa basilique et de Constantinople pour jeter, en Europe et en Asie, les fondemens de sa juridiction ecclésiastique, il perdit sa base d’opération ; on eut prise sur lui, et sa perte fut jurée. L’accueil qu’il fit à des cénobites égyptiens sembla une entreprise directe sur la juridiction du patriarche d’Alexandrie. Théophile (c’était le nom de ce personnage) résolut de sortir de ses états pour aller combattre dans Constantinople même, cette puissance ecclésiastique formidable qui se préparait. Il s’avança lentement à travers la Syrie et l’Asie-Mineure, préparant avec autant de dextérité que de perfidie une invasion d’évêques. Il entraîna tous les prélats de sa faction à Chalcédoine, tandis que les johannites se groupaient autour de leur chef dans le triclinium de l’archevêché. L’assemblée du Chêne et celle du Triclinium étaient, comme les deux faces opposées de l’épiscopat byzantin. D’un côté, auprès du patriarche, se tenaient les évêques qui conservaient intacte la tradition des apôtres ; de l’autre, les évêques courtisans « rompus et corrompus dans les affaires. » La lutte était pour ainsi dire engagée entre l’administration et l’Évangile, entre l’empereur et le Christ. Dans cette crise, Arcadius et Théophile devaient se trouver d’accord. Le concile du Chêne ayant excommunié Chrysostome, « sa majesté » mit volontiers le bras séculier au service de l’église, si étroitement unie à l’état. Fidèles à leurs convictions, ni le peuple ni l’archevêque ne faiblirent. Suivant l’expression du