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Démosthène chrétien, « la ville entière n’était plus qu’une église. » Elle réclamait très pieusement, mais très énergiquement, « un grand, un vrai concile. » Quant à Chrysostome, il revenait à son thème habituel, à la vie de saint Jean-Baptiste, son patron. « Hérodiade, s’écriait-il avec une audace inouïe, danse toujours en demandant la tête de Jean, et on lui donnerai tête de Jean, parce qu’elle danse. » Hérodiade, on le comprend, c’était l’impératrice Eudoxie.

Exilé une première fois, puis rappelé en toute hâte par superstition du monarque, il se réconcilia un instant avec Eudoxie ; mais plus que jamais il prit ses inspirations dans le peuple, qui ne cessait de lui répéter : « Il nous faut un autre clergé. » Il épura en effet son église, mais le schisme s’aggrava encore. Sa protestation indiscrète contre l’adoration de la statue d’Augusta donna lieu à un second et suprême conflit entre l’archevêché et le palais. Les évêques égyptiens et syriens eurent le loisir de revenir plus nombreux, mieux préparés, armés des décrets ecclésiastiques et de la force publique. Tous les moyens parurent bons contre Chrysostome. Ces orthodoxes intolérans invoquèrent hardiment contre lui les canons d’un concile arien.

Tout ce qu’il y avait de délicatesse et de violence dans cette société byzantine si complexe se montra dans cette circonstance. Le peuple, auquel on arrachait son pasteur, se vengea d’une manière terrible. Nous n’hésitons pas à voir dans l’incendie qui consuma Sainte-Sophie la main de ces démagogues (nom bien connu à Byzance) qui si souvent bouleversèrent Constantinople. Cette guerre ecclésiastique eut un dénoûment comparable en tous points à celui de nos guerres, civiles, tant l’église était alors vivante et populaire, tant elle avait le privilège de déchaîner les passions, nobles ou perverses, du peuple byzantin.

« Tombe aux mains des Isaures, disait un ecclésiastique à Chrysostome, pourvu que tu échappes aux nôtres ! » Et lui-même écrivait : « Je ne redoute rien que les évêques, un petit nombre excepté. » Poursuivi par leur implacable haine, il allait bientôt succomber sur la route du Caucase. Cependant il en était de la composition de l’épiscopat byzantin comme de celle de nos assemblées politiques ; dans un laps de temps assez court, des modifications profondes s’opéraient dans son sein, sous la pression de l’opinion publique. Des élections successives finirent par changer la majorité des évêques. Le nom de Chrysostome fut rétabli sur tous les diptyques, son panégyrique prononcé dans tous les sanctuaires. On transporta en grande pompe son corps dans l’église des Apôtres. L’empereur Théodose le Jeune, qui assistait à cette solennité, se dépouilla de son manteau de pourpre pour l’en couvrir. Il implora pour son père et pour sa mère