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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/487

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produite sur l’esprit des juges par la ferme et sincère parole de Démosthène ; on se flattait d’en être quitte à bon marché. Onétor, le beau-frère du condamné, se prévalut alors du droit que lui conférait cette étroite parenté. Il aurait pu, pendant le cours des débats, obtenir du tribunal, à ce titre, la permission d’aider Aphobos de son éloquence, comme συνήγορος ou associé à la défense ; c’était le seul cas où la jurisprudence, à défaut de la loi, autorisait l’intervention d’un véritable avocat. Il ne l’avait point fait, il s’était contenté de composer ou peut-être de revoir le discours d’Aphobos. Au point où les choses en étaient venues, il jugea nécessaire de donner de sa personne ; il se leva, il prit la parole ; il supplia les juges, en pleurant, de ne point accabler Aphobos sous le poids d’une dette qu’il ne pourrait jamais payer ; il les conjura de n’accorder à Démosthène qu’un talent. Pour ce talent qu’il proposait au nom d’Aphobos, Onétor offrait sa propre caution. C’était présenter Aphobos comme insolvable et dépasser le but. Athènes, quelque figure qu’elle fît dans le monde ancien, n’était pourtant à certains égards qu’une petite ville ; elle comptait en tout quelques milliers de citoyens, qui passaient presque toute leur vie, hors le temps du sommeil, sur la place publique, au marché, dans la rue, sur les quais du Pirée. De grandes fêtes, plusieurs fois par an, réunissaient au théâtre ou dans d’autres lieux publics tous les membres de la cité ; des fêtes plus fréquentes mettaient en communication plus étroite les membres d’une même tribu, d’un même dème, d’une même phratrie. Bien des juges, avant même l’ouverture des débats, avaient déjà entendu parler d’Aphobos et de l’impudence avec laquelle ses associés et lui avaient dépouillé le fils d’un bourgeois riche et estimé, Démosthène de Pœanée ; les plaidoyers et les témoignages produits avaient confirmé ces rumeurs. Tous les membres du jury savaient maintenant, à n’en pouvoir douter, qu’Aphobos, appartenant à une famille aisée, richement marié, s’était approprié une grosse part de la belle fortune dont avait hérité son pupille. S’il eût offert 5 ou 6 talens, l’éloquence et les larmes d’Onétor eussent peut-être obtenu qu’on le prît au mot ; mais un talent, c’était se moquer des juges. Le second vote eut lieu ; Aphobos fut condamné à payer les 10 talens (55,610 fr.) que Démosthène réclamait.


III

Il semblait que la satisfaction accordée fût complète ; pourtant le plus difficile restait à faire. Même dans la première joie d’un triomphe inespéré, Démosthène, avec l’expérience précoce qu’il avait acquise