plus grande. On l’appelait l’honnête Horace, le philosophe, le sage de Chappaqua, du nom d’une maison de campagne qu’il avait achetée pour y installer une ferme modèle. Il avait été membre du congrès, où il avait siégé avec celui qui devait être le président Lincoln, et combattu avec fermeté pour la cause abolitioniste. Telle était son autorité sur l’esprit public, que M. Emerson avait pu écrire des populations agricoles de l’ouest « qu’Horace Greeley pensait pour elles moyennant trois dollars par an. » Il semblait que rien ne manquât à sa gloire, s’il s’était contenté de rester un homme privé ; mais, tout en déclamant contre l’ambition et l’avidité des autres, M. Horace Greeley était dévoré d’un secret désir : il voulait jouer un grand rôle politique. Il était las d’être un simple journaliste ; il voulait dans ses vieux jours aborder une scène plus vaste, et il était prêt à mettre son journal, son influence, son talent d’écrivain et d’orateur, ses convictions même, s’il le fallait, au service du premier parti qui lui offrirait le titre de président des États-Unis.
Il était parvenu à ses fins ; la convention de Cincinnati, circonvenue par ses nombreux amis, séduite par ses offres de service, désireuse de neutraliser l’influence du parti protectioniste, toujours si puissant dans les états du nord, ou de l’attirer dans les rangs des républicains libéraux, s’était laissé entraîner à le choisir pour chef. Toutefois il y avait lieu de craindre que ce succès lui-même ne devînt l’écueil où devait périr la vieille réputation de M. Greeley. En le désignant pour remplir la première magistrature du pays, on faisait trop bien sentir à tout le monde la différence qu’il y a, même aux États-Unis, entre un écrivain habile et un homme d’état sérieux. C’était remettre dans tout leur jour les imperfections de l’esprit et du caractère de M. Greeley, qui pour ses lecteurs n’étaient peut-être qu’un charme de plus, mais qui devaient paraître intolérables chez l’homme appelé à diriger l’administration du pays. On devait se rappeler que M. Greeley n’avait jamais été qu’un homme de talent, sans grande consistance et, sauf quelques préjugés poussés chez lui jusqu’au fanatisme le plus aveugle, sans principes politiques bien arrêtés.
On l’avait vu maintes fois, dans le cours de sa longue carrière, varier non pas tant au gré de ses intérêts qu’au gré de ses fantaisies, de ses passions et de ses haines. Il avait l’habitude, quand il épousait une cause, de la compromettre par ses excès de zèle et par une exagération naturelle à son esprit mal réglé. Ainsi, lors de la sécession des états du sud et du commencement de la guerre civile, il avait appartenu à cette fraction du parti républicain et abolitioniste pour qui le maintien de l’unité nationale n’était qu’une chose secondaire, et qui aurait volontiers laissé les états du sud s’en aller en paix, » pourvu que les états du nord, affranchis de