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la suprématie des esclavagistes, pussent s’organiser séparément à leur guise ; le mot que nous venons de citer était de lui, et lui avait été souvent reproché depuis lors. Puis, pendant la guerre, subordonnant comme toujours l’intérêt national à des passions de parti, on l’avait vu parmi les plus acharnés à dénoncer les crimes des rebelles à la vengeance nationale. Enfin, après l’assassinat du président Lincoln, quand l’exaspération publique était à son comble contre les chefs vaincus de la rébellion, accusés d’avoir mis eux-mêmes le poignard aux mains du meurtrier, on avait vu M. Horace Greeley, par une inspiration généreuse, mais au moins inattendue de sa part, prendre le contre-pied de l’opinion régnante et donner sa caution pour la mise en liberté de l’ex-président confédéré Jefferson Davis. Cette versatilité bien connue, ce goût de la singularité et du paradoxe, étaient, il faut l’avouer, des défauts bien dangereux chez un homme qui aspirait à être le chef d’une des plus grandes nations du monde. On pouvait estimer M. Greeley en dépit de ses inconséquences, de ses parti-pris et de l’intempérance habituelle de son langage ; toutefois on ne pouvait sans hésitation lui confier le mandat redoutable qu’il sollicitait de ses concitoyens. D’ailleurs tout son passé protestait contre le programme du parti libéral. Quelle raison pouvait-on avoir de le choisir ? Était-ce comme partisan du libre échange ? Il en était l’adversaire acharné. Était-ce comme gage d’union entre les libéraux et les démocrates ? Ces derniers ne pouvaient l’accepter qu’à grand’peine. Était-ce enfin comme administrateur intègre et rigoureux, capable de faire de profondes réformes dans le gouvernement fédéral ? Sa légèreté, son charlatanisme, l’obstination ou l’aveuglement avec lequel son journal avait soutenu à New-York les administrations les plus véreuses, ne permettaient guère de concevoir cette espérance. Sans doute la convention de Cincinnati avait pensé que ce choix était politique ; elle avait cru qu’en raison même du caractère excentrique de M. Greeley et de son indépendance de tous les partis constitués, il avait plus de chance que personne de réunir autour de lui des opinions diverses et de servir de centre au nouveau parti libéral ; mais c’était là un calcul trop raffiné pour être juste, surtout chez un parti nouveau, qui a besoin de racheter sa faiblesse numérique et son défaut d’organisation par la plus grande netteté de son programme et sa plus grande franchise dans le choix des personnes. M. Greeley pouvait être l’élu d’un groupe d’hommes s’intitulant convention électorale ; il ne pouvait pas être le chef du nouveau parti libéral, dont il ne représentait pas les principes. C’est ce que disaient hautement plusieurs libéraux, qui annonçaient que le choix de M. Greeley les obligerait à voter pour le général Grant.

Après un pareil choix, la plate-forme de la convention de