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Quant à l’ouest, il semblait à peu près acquis au général Grant ; c’est du moins ce qui résultait du vote récent de l’Orégon, ou les républicains, battus antérieurement, venaient de reprendre l’avantage. Cette extrême importance des élections d’état tient surtout au mode de nomination des électeurs présidentiels, élus, comme on sait, par scrutin de liste, dans le sein de chaque état, en nombre égal à celui des sénateurs et des représentans. Une très légère majorité suffit pour entraîner dans un sens ou dans l’autre tous les votes de l’état. Il en résulte que la majorité numérique du vote populaire peut être en désaccord avec la majorité du collège chargé de l’élection présidentielle. Or cet arrangement était tout favorable à Grant, qui paraissait devoir l’emporter dans beaucoup d’états à une faible majorité, et défavorable à Greeley, qui se croyait à peu près sûr d’une quasi-unanimité, mais dans un petit nombre d’états seulement. Il fallait vaincre d’abord sur le terrain des élections locales, afin de vaincre plus tard dans l’élection générale.

La guerre commença donc de part et d’autre avec un véritable acharnement. D’abord les deux candidats restèrent en dehors de la mêlée. En temps d’élection, les candidats doivent abdiquer toute espèce de libre arbitre ; ils deviennent la chose des partis qui les ont nommés, et qui les font parler ou se taire à leur guise. La plupart du temps, ils se tiennent à l’écart et observent un prudent silence : leurs partisans se compromettent pour eux et leur interdisent d’ouvrir la bouche ; on ne leur permet même pas d’écrire. Quand on redoute de leur part quelque imprudence, on leur fait subir une sorte de quarantaine électorale ; on les met sous clé, ou plutôt sous la garde d’amis réservés et inflexibles, chargés d’éloigner d’eux l’encre et le papier, de ne pas laisser échapper de leurs lèvres une parole qui n’ait été mûrement méditée, de ne pas leur permettre d’entrer dans un bureau télégraphique, dans un café ou dans une salle d’auberge. Cette abstention forcée ne devait pas coûter grand’chose au général Grant, dont la taciturnité naturelle est devenue proverbiale, et touche presque à l’indifférence ; elle était plus difficile à imposer à M. Greeley, le plus bavard et le plus indiscret des hommes, et sur lequel les républicains comptaient pour commettre à leur profit quelques-unes de ses intempérances de langage habituelles. En revanche, leurs partisans se mirent en campagne d’un bout du pays à l’autre, et depuis les grandies halls des populeuses cités du nord jusqu’aux forêts de l’ouest et du sud le territoire entier retentit des noms de Grant et de Greeley, sans cesse mis en parallèle et répétés sur les tons les plus variés, depuis celui de l’insulte la plus grossière jusqu’à celui du panégyrique le plus extravagant.

Dans tout ce débordement d’éloquence populaire, trois discours principaux méritent d’être remarqués, ceux de MM.  Schurz et