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polémiques mêmes de ses nouveaux adversaires avaient servi à remettre les choses et les idées à leur place en montrant ce qu’il y avait d’artificiel et de téméraire dans leur coalition avec les démocrates. Malgré leurs progammes séduisans et leurs définitions subtiles, ils n’étaient pas parvenus à émouvoir sérieusement la masse du parti républicain, et ils allaient faire, volontairement ou non, la besogne des démocrates. Il n’y avait plus d’équivoque possible entre les deux partis ; quelques hommes avaient changé de place, mais les intérêts et les doctrines étaient restées les mêmes. Sauf quelques différences plus apparentes que réelles, la lutte allait se reproduire dans les mêmes conditions qu’aux trois élections précédentes, lors des victoires de Lincoln contre Buchanan, de Lincoln contre Mac-Clellan, de Grant lui-même contre Seymour, et le résultat devait probablement être le même. A moins d’une révolution de l’opinion publique que rien n’annonçait encore, le parti républicain devait résister sans peine au retour offensif que son ancien adversaire essayait sous un nouveau nom.


III

Cependant la réélection du général Grant commençait à sembler douteuse. Un habile mélange de calomnies grossières et de reproches fondés avait noirci son caractère et compromis son ancienne popularité. De tous ces reproches, vrais ou faux, ceux qui lui nuisaient le plus s’adressaient beaucoup moins à sa politique générale qu’à son administration personnelle. Si ses adversaires ne s’en étaient pris qu’à ses prétendus abus de pouvoir à l’égard des états du sud, à sa sévérité pour les anciens rebelles et à la tiédeur de ses sentimens pour les nègres, on ne les aurait peut-être guère écoutés ; mais les accusations de népotisme, de gaspillage, de négligence ou même de corruption, trouvaient bien plus prompte créance dans un pays où, il faut bien le dire, les hommes publics n’ont pas toujours l’habitude de donner l’exemple d’un désintéressement sévère.

Pourtant une réflexion se présentait à tous les esprits sensés, même à ceux qui s’exagéraient le plus les torts du général Grant : c’est qu’en nommant à sa place M. Greeley il n’y avait point à gagner au change. De quoi se plaignait-on en effet ? De ce que l’administration fût négligente et corrompue ? — Elle devait l’être bien davantage sous la présidence de M. Greeley. On sait qu’aux États-Unis plus qu’en aucun autre pays du monde chaque élection présidentielle met en mouvement une foule d’ambitions et de cupidités que le nouveau titulaire doit pourvoir, à peine de mécontenter ses amis et de manquer aux devoirs de la reconnaissance envers le parti qui l’a élu. Tout pouvoir nouveau traîne à sa suite une horde