de spéculateurs et d’aspirans fonctionnaires qui se jette à la curée, et qu’il faut satisfaire à tout prix. On appelait bien M. Greeley le « philosophe » et le « sage, » mais son caractère était loin de donner, sous ce rapport, de plus grandes garanties que celui du général Grant. Il était notoire qu’il traînait derrière lui, intéressés à son succès et attachés à sa fortune, une foule bien plus grande d’intrigans et de spéculateurs que tout autre candidat possible à la présidence. Dans son désir immodéré d’être élu président, il s’était montré aussi coulant sur les questions d’intérêt que sur les questions de principes, et tout en déclamant contre les désordres de l’administration rivale, contre les maximes du président Jackson et contre le favoritisme de la Maison-Blanche, il avait fait comme tous les candidats de hasard, il avait prodigué les promesses pour se faire des partisans. D’ailleurs, pour qui connaissait sa nature exubérante, légère, vantarde et aventureuse, son excentricité paradoxale, ses intimes liaisons avec la bohème financière, il était difficile de se le figurer comme le réformateur des abus administratifs et le régénérateur des mœurs publiques. Là où la ferme volonté, le caractère loyal et l’esprit d’ordre du général Grant s’étaient trouvés en faute, il n’était guère possible d’espérer rien de mieux d’un homme de lettres personnellement honnête, mais capricieux et intempérant, sans autorité, sans esprit de conduite, et livré à toutes les influences par les fantaisies d’une imagination facile à séduire. Si ses talens de journaliste et d’orateur populaire étaient suffisamment démontrés, sa capacité administrative était encore inconnue, et il y avait lieu de craindre que ce changement de personnes ne fût en définitive plus funeste qu’utile au bon ordre financier et à la réforme civile.
La comparaison était encore plus désavantageuse pour M. Greeley au point de vue politique. Assurément le gouvernement du général Grant était en butte à toutes les attaques auxquelles est sujette une administration qui a longtemps conservé le pouvoir ; tout ce qui avait pu arriver de fâcheux sous sa présidence était et devait être imputé par l’opinion publique à ses fautes. M. Greeley au contraire, n’étant responsable de rien, pouvait promettre monts et merveilles, quitte à ne pas tenir ce qu’il aurait promis ; mais les hommes réfléchis et de bon sens se demandaient ce qu’on aurait à gagner au change. En somme, le général Grant avait eu, au dedans comme au dehors, une politique conciliante et ferme ; il avait apaisé les états du sud ; il venait de régler, au grand avantage des États-Unis, le long procès engagé depuis six ans avec l’Angleterre pour les déprédations des pirates confédérés. Pouvait-on mieux attendre du politique hasardeux qui venait de se jeter avec tant d’ardeur et de sans-façon dans une coalition qui l’obligeait a renoncer à ses opinions