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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/707

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car, dit-il, vous avez à qui parler, et vous pouvez vous promener de long en large. Cette activité intellectuelle se tourne naturellement vers la politique ; mais ici se produit un phénomène tout particulier : comme en Grèce on ne trouve pas de partis qui aient des programmes différens et que nulle discussion de principe n’est possible, tout le monde sur les questions importantes, sur la liberté des personnes et de la presse, sur le droit de réunion, sur la nécessité de la monarchie, sur l’égalité, étant du même avis, les rivalités individuelles peuvent seules passionner les esprits. Le royaume a trois chefs politiques qui se succèdent sans cesse à la présidence du conseil. Chacun d’eux s’est fait dans la chambre une nombreuse clientèle. Les forces sont divisées de telle sorte qu’une coalition des deux premiers ministres tombés peut toujours renverser celui qui vient de parvenir au pouvoir. Il arrive même parfois que la formation d’un gouvernement est impossible ; ce jeu des partis peut amener, comme on l’a vu récemment, six ministères en sept jours. Il est difficile que ces rivalités personnelles ne compromettent pas les caractères ; dans ces intrigues quotidiennes, la dignité de chacun est sans cesse en péril. Tout nouveau ministre doit des places à ses cliens : de là une instabilité de l’administration qui entrave tout progrès. Il est rare qu’un fonctionnaire reste longtemps en charge ; l’employé grec sait très bien que la fortune est inconstante ; il passe sa vie à quitter les fonctions publiques et à les reprendre. En 1867, j’arrivais avec un de mes amis dans une petite ville du nord de l’Eubée. Nous avions pour compagnon de voyage un brave homme, grave, poli, résigné à tous les ennuis de la route. C’était un sous-préfet nouvellement nommé : il avait laissé sa famille à Athènes ; son, bagage se composait d’un petit sac où il portait un habit noir, une cravate blanche et un code. Il déballa ces objets dans la cabane qui lui servait d’hôtel. Six semaines plus tard, nous le rencontrions à l’autre extrémité du royaume, à Santorin. Dans ce court intervalle, il était rentré dans la vie privée : il venait d’obtenir un nouveau poste. Il nous raconta qu’il avait promené la même valise dans quarante-deux sous-préfectures. Quant à sa femme et à ses enfans, il les voyait quand il était destitué.

Il est impossible qu’au milieu de ces rivalités personnelles il s’établisse une tradition administrative quelque peu sérieuse. On paie les impôts ou on ne les paie pas, et il est toujours permis d’espérer quelque heureuse combinaison qui débarrasse de tout souci le débiteur du trésor. Ce qui ajoute au mal, c’est que le système des fermes a survécu à la domination ottomane, système d’autant plus dangereux que la nation se fait une idée moins rigoureuse des droits de l’état. Les budgets se soldent chaque année en déficit ;