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les sommes dues et non payées atteignent des chiffres considérables. En 1858, pour prendre un exemple donné par M. Spiliotakis dans un rapport officiel, sur 3,370,000 drachmes que devait produire la taxe foncière, le trésor ne toucha que 2,350,000 drachmes. Le budget était cette année de 17 millions, les sommes non payées montèrent à 4 millions 1/2, c’est-à-dire au quart de l’impôt, bien qu’en Grèce les taxes soient très modérées. Le même fait s’est reproduit tous les ans ; ces créances ne seront jamais recouvrées par l’état. C’est la mauvaise administration qui fait que le brigandage n’a jamais disparu de la Grèce ; un pays sans route, où aucune autorité n’a un pouvoir durable, où les partis politiques veulent déconsidérer le ministère établi en montrant qu’il n’assure pas la sécurité publique, doit avoir des klephtes.

Les Grecs riches de Turquie, ceux de Trieste et de Marseille s’expriment avec sévérité sur le royaume. Leurs journaux témoignent souvent d’un singulier dédain pour les ministres helléniques. Très peu de ces commerçans qui ont fait une grande fortune viennent se fixer en Grèce. Ce pays leur paraît livré à une administration déplorable ; mais les sentimens qu’ils éprouvent pour les hommes politiques d’Athènes ne diminuent en rien leur foi en l’hellénisme. La race est supérieure à ces fautes partielles ; l’habitude s’est même établie de séparer les destinées de la nation de celles de la Grèce propre, ou plutôt des aventures gouvernementales qui passionnent les sujets du roi des Hellènes. La première et la plus grave conséquence de cette manière de faire est de maintenir la fortune des Grecs en dehors de l’Hellade. Les beaux présens que font les colonies à la capitale ne peuvent enrichir le pays. Il ne se forme pas une classe qui ait intérêt à un ordre stable, qui par son influence puisse arrêter ces changemens quotidiens de toute l’administration, qui porte dans les affaires publiques les qualités mêmes qui lui ont permis d’acquérir la fortune. Ce serait le meilleur des élémens de prospérité pour ce pays que la présence au pouvoir de gens qui aient fait leurs preuves dans la gestion de leurs propres affaires. Un banquier, un commerçant, un industriel, seraient des hommes politiques excellens, d’un sens sûr et d’un esprit pratique. On répond qu’il est impossible de s’enrichir en Grèce, que la fortune est à Constantinople et dans les grandes villes. Il est tout d’abord assez difficile de supposer qu’on ne puisse créer dans le royaume aucune industrie, qu’il soit impossible d’y cultiver la terre ; puis, si le lien n’était pas brisé entre la Grèce administrative et les colonies, pourquoi ne verrait-on pas les commerçans de Marseille et de Trieste accepter une part dans le gouvernement ? Pourquoi la Grèce resterait-elle le seul pays de l’Europe où ils ne mettent