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sept médecins résidans qui tous les jours deux fois, sous la présidence du directeur, se réunissent en consultation, étudient les cas spéciaux, suivent le cours général de chaque maladie et participent ainsi à leur expérience mutuelle. Un journal hebdomadaire publié par la direction, dans lequel les pensionnaires sont désignés par un numéro, porte aux familles des nouvelles de leurs malades, qui sont individuellement visités au moins trois fois chaque jour par un médecin. Un corps de musique est attaché à l’asile ; on encourage les aliénés à la vie agricole, à la vie ouvrière, on leur laisse toute la liberté compatible avec leur sécurité et celle des autres. Les médecins accompagnent souvent les malades dans leurs promenades et leur donnent quelques notions de botanique usuelle ; les lectures en commun, les concerts, sont fréquens, et comme le lait est un aliment excellent pour les aliénés, que la glace leur est indispensable, il y a une étable de 24 vaches et 3 glacières exclusivement réservées pour leur service. Le traitement thérapeutique joue à Illenau un rôle prépondérant ; je n’ai pas qualité pour me permettre de l’apprécier, mais je puis dire qu’en 1871 il a été consommé par les malades 11 kilogrammes d’opium brut et 5 kilogrammes de chlorhydrate de morphine. Ces chiffres méritent d’être retenus, car ils renferment un enseignement dont il serait bon de profiter. Le résultat est à signaler : les guérisons sont dans la proportion de 42 pour 100, et j’entends guérisons sans rechute, car j’ai établi mon calcul sur une moyenne de plusieurs années.

Ce n’est pas tout de soigner les malades et de les sauver, il faut les suivre et les surveiller de loin lorsqu’ils sont rentrés dans leur milieu. Le statut d’Illenau est impératif à cet égard. Le directeur écrit au curé et au maire du village, de la ville où revient le convalescent ; il leur indique le traitement prescrit et les charge de s’assurer que son ancien pensionnaire ne s’en écarte pas. Tous les quinze jours d’abord, puis tous les mois, tous les trois mois, enfin tous les semestres des lettres sont échangées, des recommandations sont réitérées en vue de consolider la guérison d’un paysan, — d’un prince, — jusqu’au moment où le docteur Roller estime que nulle rechute n’est à redouter. J’ai longuement étudié cet asile en éprouvant le regret profond que nous n’eussions rien de semblable à Paris, dans le pays où Pinel a fait la révolution que l’on sait, et fondé la pathologie mentale. J’ai vu là, dans la personne du docteur Hergt, spécialement chargé de la division des femmes, le type du médecin aliéniste. De six heures du matin à minuit, il est sur pied, et nul médicament important n’est administré qu’en sa présence. Dès qu’il a quelques minutes de loisir, il va les passer près de ses malades pour leur faire des lectures, leur raconter des