Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

historiettes, écouter leurs plaintes et faire pénétrer l’espoir dans le cœur des plus désespérées. Il n’est plus jeune, car il est d’âge à s’être dévoué jusqu’à épuisement, en 1832, à Marseille, lors de la grande épidémie de choléra, et les cheveux blanchissans qui entourent sa tête toujours penchée semblent augmenter encore l’incomparable douceur de son regard. Il est partout à la fois, chez celles qui pleurent, chez celles qui se frappent, chez celles qui sont furieuses ; il n’a qu’un moyen de répression : une inaltérable mansuétude. Je l’écoutais un jour pendant qu’il donnait des conseils à une surveillante qui se plaignait de la dureté de son labeur ; il lui disait : — Ma fille, fais-toi aimer de tes malades, aime-les, et tout sera facile. — C’est là un mot d’ordre qu’on devrait répéter sans cesse à ceux qui ont affaire aux aliénés, car jamais on ne saura leur témoigner assez de commisération.

Nous ne pouvons raisonnablement exiger de notre personnel médical des résultats analogues à ceux que je viens d’indiquer ; il mourrait inutilement à la tâche. Il devrait être doublé pour le moins, afin que chaque malade eût droit à une consultation approfondie et souvent renouvelée ; mais, si l’assistance publique, par un de ces tours de force auxquels elle nous a accoutumés, mettait le nombre des médecins en rapport avec celui des malades, tout ne serait pas dit, car l’étude du désordre mental semble rester stationnaire en France depuis longtemps, tandis que chaque jour elle accentue ses progrès chez les nations voisines. On a dit qu’en France les médecins aliénistes forment une corporation sans maîtrise ; le mot est spirituel, bien qu’il dépasse le but. Nous avons des savans de premier ordre ; mais, s’ils ont la science, on peut douter qu’ils aient la foi, et ils paraissent ne pas croire à leur art, un des plus élevés qui existent. Pour trouver la cause de cette sorte de scepticisme, il faut remonter au point de départ et voir que tous nos aliénistes procèdent d’Esquirol. Or Esquirol était un philosophe ingénieux, un observateur très perspicace, un philanthrope convaincu, mais il était si peu médecin qu’on pourrait presque affirmer qu’il ne l’était pas du tout. Il a écrit : « Une maison d’aliénés est un instrument de guérison ; entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales : » idée juste en principe, qu’on a eu tort de rendre tellement absolue qu’aujourd’hui le séjour dans un asile suffit, et que le traitement médical est presque partout négligé.

Certes l’isolement, la vie régulière et disciplinée, l’éloignement du milieu pervertissant, sont un grand bienfait pour l’aliéné, surtout si celui-ci trouve dans son asile l’unité parfaite du traitement rationnel, ce qui n’a lieu que rarement, car le directeur idéal d’une