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La majorité n’est pas très considérable, il est vrai, elle n’est que de 38 voix sur le chiffre de 707 votans, qui n’avait peut-être jamais été atteint dans l’assemblée actuelle. D’un autre côté, cette majorité a été formée, cela est bien certain, par la réunion de toutes les nuances de la gauche, tandis que les diverses fractions de la droite ont marché au combat sans se laisser entamer et comptent encore un peu plus de 330 voix. — 372 voix dans un camp, 335 dans l’autre, l’assemblée coupée en deux, la confusion un peu partout sous une apparence de discipline, voilà l’état parlementaire qu’on a créé, apaisement succédant à une crise momentanée, la réflexion, l’influencé du scrutin d’hier, auront pour résultat de déplacer un certain nombre de voix, de les ramener vers le gouvernement dans bien d’autres questions, c’est possible. La situation ne reste pas moins difficile, et si le gouvernement se trouve sauvé par la gauche, si cette condition des choses est aussi étrange que laborieuse, à qui la faute, si ce n’est à ceux qui jouent leur rôle de conservateurs en mettant à la loterie d’un vote de passion et d’obstination ce qu’il y a encore de paix publique ?

D’où est venue cette guerre qui n’est point évidemment terminée, qui se rallumera sans doute au moment où seront débattues les questions qu’une commission parlementaire va être chargée d’étudier ? Qu’a-t-on voulu faire et que veut-on encore ? Il ne faut pas se payer de mots et d’apparences. On a mis en avant les nécessités du régime parlementaire, un principe que personne ne conteste, le principe de la responsabilité ministérielle. C’est bon à mettre sur un drapeau en marchant au combat. Au fond, ce qu’on a voulu, c’est mettre la main sur le gouvernement, c’est placer M. Thiers dans l’alternative de céder la place ou de se faire l’instrument des volontés, des passions et des intérêts de la droite. Toute cette campagne a été conduite, nous en convenons, avec une certaine âpreté, avec une certaine habileté, une triste habileté parlementaire. On ne s’est laissé ébranler par rien, pas même par le sentiment des crises qu’on pouvait provoquer ; on s’est refusé à toute transaction, on s’est barricadé derrière des mots et des épithètes pour ne pas céder.

Il fallait avant tout attester sa prépotence, avoir une victoire de parti, et la meilleure preuve, c’est que la droite n’a pas voulu voter l’ordre du jour Mettetal, parce que cet ordre du jour, qui lui donnait satisfaction sur le manifeste radical de Grenoble, contenait en même temps un témoignage en faveur du gouvernement. Ou cette lutte n’a aucun sens en effet, ou elle a cette signification : on a voulu en finir avec M. Thiers en se servant contre lui de ce qu’il fait et de ce qu’il ne fait pas, des circonstances et des anomalies qui ne sont pas son œuvre, des périls ou des incertitudes qu’il n’a pas créés ; on a voulu l’abattre en tournant contre lui jusqu’à cette supériorité de lumières et d’éloquence qu’on a