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serait dangereux de froisser les sentimens catholiques de la population, et de l’autre que défendre officiellement la manifestation serait le moyen le plus sûr de la faire naître, le gouvernement a préféré en employer un autre moins apparent, mais plus efficace. Don Manuel Pardo jouit toujours d’une grande popularité dans le parti libéral, et il s’en est servi habilement dans cette circonstance. Il a fait agir sur les chefs et sur les membres les plus influens du parti, et il a réussi à les faire renoncer à leurs projets. De son côté, la colonie italienne a accédé aux désirs du gouvernement, et la journée s’est passée sans le moindre désordre.

On sait qu’un différend est récemment survenu entre le gouvernement chilien et le ministre de Bolivie à Santiago, à propos de l’expédition projetée contre cette république par un de ses généraux émigrés, le général Quintin-Quevedo, et que ce différend a conduit à la rupture des relations diplomatiques entre le cabinet de Santiago et le Chili. Certaines personnes attribuent au gouvernement chilien le désir d’une rectification de frontière et le projet de s’emparer d’une portion du territoire bolivien, voisin de sa frontière du nord, et qui vient d’acquérir une grande importance par suite de la découverte à Caracoles de mines d’argent extrêmement riches et exploitées par des sujets chiliens. Le conflit diplomatique survenu à Santiago a causé une certaine émotion au Pérou, mais l’opinion la plus accréditée à Lima, au moment où cette nouvelle y est arrivée, a été que le différend s’arrangerait d’une manière pacifique.

On ne peut nier que depuis quelques années la république péruvienne n’ait beaucoup étendu ses relations, et n’ait vu grandir singulièrement son importance. Des quatre états du Pacifique, c’est elle qui tient assurément le premier rang, et dans toute l’Amérique du Sud il n’y a que l’empire du Brésil qui l’emporte encore sur elle. Solidement appuyé sur l’Equateur et la Bolivie, où son influence domine, le Pérou n’a rien à craindre. Il possède une armée comparativement nombreuse, une flotte qui n’a point de rivale sur l’Océan-Pacifique et des ressources financières considérables.

La paix extérieure et intérieure est le premier des biens pour un pays où il y a tant de choses à créer. Elle a cet avantage, qu’en permettant aux intérêts de se former et de s’étendre, à l’industrie de grandir, aux habitudes régulières de s’enraciner, elle acquiert par cela même des chances de durée. Pour ces contrées de l’Amérique du Sud, si souvent bouleversées par des mouvemens contraires et par des révolutions successives, se maintenir quelque temps dans le calme, c’est remporter une véritable victoire. Dès que la légalité règne sans contestation dans ces pays, on est étonné de l’importance et de la rapidité des progrès qu’ils réalisent. Malheureusement il y a sur le sol de ces jeunes républiques