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organisation aussi large que méthodique et les accroissemens qu’il n’a cessé de recevoir depuis deux siècles, le département des estampes à la Bibliothèque nationale n’a dans aucun des établissemens étrangers son analogue, encore moins son équivalent. C’est un assemblage unique de recueils intéressant, à quelque degré que ce soit, l’art, l’érudition ou la curiosité, un incomparable ensemble de documens pour les recherches de toute nature et pour tous les genres d’étude.

A l’origine, il est vrai, la collection des estampes à la Bibliothèque n’avait pas cette destination générale, ce caractère d’utilité universel. Lorsque Colbert en 1667 s’était décidé à acquérir pour le roi les pièces recueillies par Michel de Marolles, abbé de Villeloin, il avait entendu seulement assurer pour jamais à notre pays la possession des œuvres réputées, au point de vue de la gravure même, les plus belles ou les plus rares, « les plus précieuses singularités de l’art, » comme on disait alors. De son côté, l’abbé de Marolles, en offrant de céder ses estampes au roi, ne s’était proposé rien de plus, — ce sont les termes mêmes qu’il emploie dans la préface de son catalogue publié en 1666, — que de prévenir la dispersion des « pièces de plus de 6,000 maîtres » réunies par lui à grand’peine, et dont l’ensemble, ajoutait-il avec l’autorité d’un expert plutôt qu’avec l’empressement d’un solliciteur, « ne serait pas indigne d’une bibliothèque royale, où rien ne se doit négliger[1]. » Une telle collection méritait bien en effet l’illustre abri qu’on réclamait pour elle, et celui qui l’avait formée avait le droit, une fois le marché conclu, d’écrire ces lignes d’une simplicité, on dirait presque d’une bonhomie un peu fière, où revivent à la fois le souvenir de ses travaux, de ses services, et les preuves de son désintéressement : « toutes lesquelles pièces furent mises dans la Bibliothèque royale en cette même année (1667), pour lesquelles il plut au roi de donner 28,000 livres, et encore depuis 2,400 livres à deux fois par gratification, parce qu’il est certain que ces livres d’estampes si bien choisies revenaient à bien davantage, comme il est aisé de le

  1. Avant l’époque où l’abbé de Marolles conseillait ainsi l’adjonction d’une collection d’estampes aux livres et aux manuscrits conservés dans la Bibliothèque du roi, un des gardes de cette bibliothèque, le savant Jacques Dupuy, avait déjà reconnu la convenance et l’utilité d’une pareille création. Par une disposition testamentaire en date du 27 avril 1654, il faisait don à l’établissement auquel il avait été attaché de ses « livres d’antiquités romaines tant en taille-douce que faits à la main, tailles-douces de Rubens et autres, divers portraits aussi en taille-douce, soit reliés, soit en feuilles…, » et, deux ans plus tard, après la mort de Dupuy, survenue en 1656, les estampes léguées par lui entraient à la Bibliothèque. Vu leur petit nombre toutefois, elles y demeurèrent d’abord à peu près perdues et ne commencèrent à y avoir en quelque sorte leur raison d’être que lorsqu’on put les rapprocher de la collection de Marolles.