M. Gambetta dans sa déposition devant la commission d’enquête du 4 septembre, les circonstances y prêtaient assurément. Sa situation lui apparaissait dans tout ce qu’elle avait de tragique et de sombre. Faire son devoir de soldat jusqu’au bout, il savait bien qu’il le ferait, et s’il était allé ce jour-là combattre au Lomont, comme il le voulait, il serait mort sans doute à la tête de ses bataillons ; mais lui, chef d’armée, il se voyait exposé sinon à capituler, — il se refusait à cette extrémité, — du moins à se jeter en Suisse. Il serait peut-être accusé, soupçonné ! À cette seule pensée, le sentiment de l’honneur, si puissant en lui, se révoltait. Son âme, dévorée d’émotions, pliait sous cette épreuve. Toute la journée du 26 néanmoins, il avait surveillé à cheval les mouvemens de l’armée, suivi de son aide-de-camp, le colonel Leperche, qui était pour lui un ami, et qui, voyant bien les angoisses de son chef, avait eu la précaution de lui enlever ses pistolets sans qu’il s’en aperçût ; mais la résolution de Bourbaki était prise. En rentrant le soir, paisible en apparence, désespéré au fond du cœur, il prenait un prétexte pour envoyer le colonel Leperche au chef d’état-major de l’armée, il allait chercher des armes dans la chambre de son aide-de-camp, il s’enfermait chez lui, et, peu d’instans après, il avait essayé de mettre fin à sa vie. Heureusement la balle s’était aplatie sur son crâne meurtri et ensanglanté comme sur une plaque de tir. Il était assurément atteint de la façon la plus dangereuse, il n’était pas perdu ; il n’était qu’un des blessés, le premier des blessés de la campagne de l’est. Du reste, à l’heure même où le général Bourbaki, dans une inspiration de désespoir, essayait de se dérober par la mort aux malheurs qu’il n’avait pas pu éviter et à ceux qu’il prévoyait encore, le gouvernement de Bordeaux était occupé à lui donner un successeur ; il avait déjà désigné le général Clinchant, qui se trouvait ainsi recueillir le commandement des mains du blessé volontaire, et M. de Freycinet avoue avec une certaine confusion qu’il s’était senti soulagé en songeant que la dépêche qui annonçait à Bourbaki sa révocation s’était croisée avec la nouvelle de son suicide, qu’elle avait été conséquemment étrangère à cette douloureuse tentative.
Maintenant qu’allait faire le général Clinchant ? Le commandement qu’il recevait était certes une mission de devoir et d’abnégation. Il n’avait pas le choix des combinaisons, il ne pouvait que diriger et presser cette retraite sur Pontarlier qui restait plus que jamais pour l’armée le seul mouvement possible, qu’on accomplissait sans plus de retard par les chemins les plus durs, dans la neige et la glace, au milieu de toutes les privations, de toutes les souffrances du froid et de la faim. On arrivait le 18 janvier autour de Pontarlier, et dans cette ville même, qui un instant devenait un