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vrai camp de misère, Clinchant n’avait et ne pouvait avoir qu’une pensée : c’était de garder la seule route demeurée libre pour lui, celle de Mouthe, par laquelle il pouvait encore peut-être, en se glissant le long de la frontière suisse, regagner les lignes de Lons-le-Saunier, de Bourg, de Lyon, et il avait même chargé Cremer d’aller avec ses forces occuper quelques-unes des positions qui pouvaient lui assurer ce passage ; mais l’ennemi, lui aussi, arrivait de toutes parts, exécutant avec une redoutable sûreté, avec un ensemble terrible, le plan préconçu de Manteuffel, qui était de fermer toutes les issues et de placer l’armée française dans l’alternative de se rendre ou de se jeter en Suisse. Le 28, de gros détachemens de Manteuffel étaient déjà vers le sud à Nozeroy, à Champagnole, menaçant justement le passage de Mouthe. D’un autre côté, les soldats de Werder, descendant du nord, suivaient la frontière suisse par Morteau. Le 29, des troupes du iie et du viie corps allemands serraient de près Pontarlier ; elles arrivaient à quelques kilomètres de la Ville, à Chaffois, à Sombacourt, où les divisions de Clinchant se battaient encore avec une certaine vivacité et tentaient un dernier effort de résistance. Évidemment le cercle se resserrait d’heure en heure, on allait toucher à la crise suprême, lorsque dans ces montagnes, où les hommes s’entre-tuaient au milieu des frimas, éclatait une nouvelle qui semblait devoir faire tomber les armes des mains des combattans. Un armistice général venait d’être signé. Ces infortunés soldats de l’est se sentaient presque délivrés ; les chefs militaires respiraient un peu et se croyaient garantis, au moins pour le moment. Du côté des Français, on cessait le feu. On croyait à la paix, ce n’était pas même pour l’armée de l’est une trêve de quelques heures ; ce n’était qu’un grand et désastreux mécompte de plus qui allait accélérer la catastrophe.

Que s’était-il donc passé ? Il est vrai, il y avait un armistice négocié, signé le 28 janvier à Versailles et paraissant s’appliquer à la France entière comme à Paris. Seulement cet armistice contenait un article d’une élasticité redoutable, d’une ambiguïté probablement calculée, qui disait, au sujet des limites à fixer entre les armées belligérantes : « … À partir de ce point (les département de l’est), le tracé de la ligne sera réservé à une entente qui aura lieu aussitôt que les parties contractantes seront renseignées sur la situation actuelle des opérations militaires en exécution dans les département de la Côte-d’Or, du Doubs et du Jura… » Il y avait dans cet article tout ce qu’on voudrait y mettre, la paix ou la guerre, il y avait surtout la liberté du vainqueur garantie par le vague de cette réserve équivoque. M. de Moltke, quant à lui, sachant ce qu’il voulait, interprétant l’armistice à sa manière, télégraphiait sur-le-champ le 28 janvier à onze heures du soir au général de