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Manteuffel : « …Les départemens de la Côte-d’Or, du Doubs et du Jura ne seront compris dans la trêve que lorsque les opérations commencées de votre côté auront amené un résultat… » On parle dans la convention de Versailles de la nécessité de se renseigner sur la « situation actuelle des opérations » pour fixer un tracé de limite entre les armées ; M. de Moltke ajourne la trêve jusqu’au moment où les opérations lui auront donné ce qu’il désire. C’était la libre interprétation d’un victorieux, ou plutôt de deux victorieux, de M. de Bismarck, qui avait préparé le subterfuge diplomatique, et de M. de Moltke, qui en tirait les conséquences militaires. De son côté, M. Jules Favre, qui allait à Versailles avec l’idée fixe d’arracher Paris à la famine, qui ne connaissait même pas la situation de l’armée de l’est, M. Jules Favre n’était pas coupable de subir des conditions qu’il n’était pas maître de discuter ; seulement il commettait à coup sûr le plus prodigieux et le plus dangereux oubli en annonçant à la délégation de Bordeaux qu’un armistice était signé, sans préciser la condition exceptionnelle faite à l’armée de l’est. M. Jules Favre s’est excusé depuis en disant que l’armistice, qui ne devait être exécuté que trois jours plus tard en province, n’avait pu avoir d’influence sur le dénoûment des affaires de l’est, qui a eu lieu dans l’intervalle ; mais ce délai même « de trois jours » pour la province, M. Jules Favre ne le faisait pas connaître, de sorte que le même malentendu aurait pu se produire partout. La délégation de Bordeaux, à son tour, signifiait à tous les chefs militaires et particulièrement au commandant de l’armée de l’est ce qu’elle venait de recevoir, dans les termes où elle le recevait. Il en résultait qu’au moment même où nos généraux autour de Pontarlier se trouvaient désarmés, le général de Manteuffel, mieux renseigné, sachant bien ce qu’on attendait de lui, marchait toujours, hâtait ses opérations, sans vouloir même accéder à une suspension d’hostilités de trente-six heures qu’on lui demandait pour en référer à Versailles.

Il faut tout dire. Je ne sais pas si avec cette méprise de moins on eût pu se sauver. Les Allemands tenaient déjà toutes les issues ; le cercle de fer était complet. Toujours est-il que l’armée française souffrait non-seulement de cette confusion, mais encore de cette détente morale qui se produit parmi des hommes harassés de combats et entrevoyant une lueur de paix. Ceci se passait le 30 et le 31 janvier. Dès que l’armistice ne s’appliquait point à l’est, le dénoûment était inévitable et ne pouvait même se faire attendre. Réduit à cette cruelle extrémité, pressé de toutes parts, le général Clinchant n’avait plus qu’une préoccupation, celle d’échapper à l’étreinte de l’ennemi, de lui dérober ses soldats, ses armes, son matériel, fût-ce en allant chercher un refuge au-delà de la frontière. Le général suisse Herzog arrivait justement aux Verrières