Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/805

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De nos jours, on a rarement à parler de voyages qui réalisent un progrès bien notable dans la connaissance du monde. Des conditions fort diverses sont indispensables pour assurer le succès de pareilles entreprises ; il faut, sans souci des dangers et des privations, avoir contracté l’habitude de vivre au milieu de pays sauvages où souvent on ne trouve d’autre lit que la terre, d’autre couverture que son manteau, d’autre abri qu’un arbre ou le creux d’un rocher, il faut surtout être familiarisé avec des notions scientifiques assez variées et assez profondes pour saisir l’intérêt de tout ce qui s’offre à l’attention ; il faut enfin ne jamais reculer devant un travail opiniâtre. Les récoltes de l’investigateur deviennent les principales sources d’information et les témoins irrécusables de l’œuvre exécutée ; encore reste-t-il des observations impossibles à vérifier, des appréciations qui échappent au contrôle direct. À cet égard, notre confiance sera réglée d’après l’estime que nous inspirent le caractère, le talent, la rectitude d’esprit de l’auteur. Il est donc nécessaire de dire comment l’explorateur de Madagascar s’est préparé pour son voyage, comment il est arrivé au succès ; l’exemple d’ailleurs est bon à citer. Si par hasard il venait à toucher quelques hommes jeunes, indépendans, capables de préférer à l’oisiveté le bonheur de se distinguer par d’utiles et nobles travaux, tout le monde devrait applaudir.

Le voyageur était assez favorisé du sort pour obéir à ses penchans et adopter le genre de vie qui lui plaisait. Bientôt l’emploi de ses jeunes années fut décidé et un plan fort simple arrêté ; il avait formé le dessein de visiter des terres lointaines, de ne négliger aucune occasion d’acquérir une instruction suffisante pour se livrer avec fruit à des recherches scientifiques. L’ambition du jeune homme était d’élucider des points obscurs de l’histoire de l’humanité, de remplir des lacunes de la géographie, de faire quelques conquêtes profitables à l’histoire naturelle, de contribuer à l’avancement de la physique du globe. Assez souvent un rêve de ce genre agite l’esprit de ceux qui aiment les aventures, et d’ordinaire le rêve s’évanouit ou l’entreprise demeure stérile : l’ignorance a paralysé l’effort, le courage a cédé devant la peine ou le péril, la résolution a manqué en présence des obstacles. Cette fois rien n’a fait défaut.

En compagnie d’un frère aîné et d’un savant alors ignoré, aujourd’hui célèbre[1], M. Alfred Grandidier partait pour l’Amérique du Sud vers la fin de l’année 1857 ; il avait vingt ans, assez d’illu-

  1. M. Janssen, dont les travaux sur la constitution physique et chimique du soleil ont eu un véritable retentissement.