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le pays des Antandrouïs, que le Mandreré sépare de la province d’Anossi, il existe, épars, des arbustes rabougris, et sur les troncs croît un lichen tinctorial, une espèce d’orseille fort estimée, dont on introduit en Europe des quantités considérables. Les habitans les plus voisins de cette côte semée d’écueils, où la mer est toujours houleuse, ne se livrent à aucun genre de navigation ; une condition essentielle pour le navire qui doit trafiquer est de porter des pirogues. La chaloupe mouille à la moindre distance possible du rivage, et la communication avec la terre s’établit au moyen des pirogues à balancier que les Antandrouïs manœuvrent avec assez d’adresse pour passer sans encombre entre les récifs. Avec M. Grandidier, on apprendra de quelle façon pittoresque se pratique le commerce avec les Antandrouïs ; on s’apercevra en même temps que les peuplades du sud de Madagascar n’ont rien acquis sous le rapport de la civilisation depuis deux ou trois siècles.

Comme la côte est tout à fait inhabitée, le navire s’annonce en tirant le canon ; c’est l’appel entendu au loin et bien compris. Les Malgaches accourent portant les objets d’échange ; un camp s’établit sur la portion de la plage la plus étendue, adossé aux dunes. Une voile de chaloupe supportée par quatre pieux est la tente où vont se traiter les affaires, une haie faite de branches d’euphorbe épineuse complétera l’édifice ; tout auprès s’élève, façonnée avec des tiges sèches, une hutte juste assez grande pour contenir deux hommes accroupis, c’est la case royale ; enfin deux ou trois parcs circonscrits par une bordure de feuillage sont destinés aux indigènes attendant leur tour de vente près des marchandises qu’ils ont apportées. Au moment où le personnel du navire descend à terre, la scène est pleine d’animation ; hommes et femmes, au nombre d’une centaine, vêtus d’un lambeau de toile en loques, crient, s’injurient, se bousculent. Les femmes, fort peu séduisantes, ne donnent point de graves distractions aux Européens ; les opérations commencent ; un matelot, tenant la balance, pèse les paquets d’orseille, et le lieutenant du navire, assis à côté de la caisse qui contient les marchandises, paie la valeur. Une brasse de toile blanche ou bleue est la rémunération de 15 kilogrammes du fameux lichen tinctorial, 100 grammes de poudre le prix de 10 kilogrammes ; les verroteries noires et bleues, les marmites de fonte, les clous dorés dont les Malgaches se plaisent à orner les crosses de leurs fusils, sont aussi très demandés. Tout à coup le mouvement s’arrête : on vient d’apercevoir le chef de la peuplade antandrouï, le roi Tsifanihi, s’avançant avec une majestueuse lenteur pour saluer les étrangers. C’est un vieillard maigre d’assez bette stature, ayant le teint clair, les cheveux gris et lisses ; il n’est pas de la