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sons rauques d’une antsive, conque marine employée pour appeler les soldats aux armes, et dont les chefs seuls ont le droit de faire usage : l’alarme était légitime ; on fut tranquillisé en reconnaissant au clair de lune la jeunesse d’un village voisin qui allait sur une île de sable se livrer à un jeu très goûté chez les Sakalaves. Jeunes gens et jeunes filles, formés en deux groupes, courent, se croisent, se poursuivent en improvisant des chansons ; c’est une charmante occasion pour les filles de se laisser séduire, pour les rivales de s’injurier, pour les garçons de trouver le bonheur ou d’exercer une vengeance. Une autre nuit, l’affaire était grave, le voyageur manqua être pillé. Parvenu au village de Manansoufy, M. Grandidier retrouvait dans le chef du district un vieil ami. Tout de suite on se fit des cadeaux : le prince apportait un coq, et l’offrait après avoir arraché une plume et mis la tige dans sa bouche afin de bien prouver que la bête n’était pas ensorcelée ; le naturaliste français donna deux verres de poudre. On ne s’attendrait pas à trouver des raffinemens de gourmandise chez les Sakalaves ; il en est cependant qui ne cèdent en aucune façon à ce que nous connaissons de mieux en ce genre. Aussitôt le coq jeté à terre, le cuisinier s’en était emparé, et, tenant l’oiseau par les pattes, un aide le plumait tout vif en lui serrant le cou. Notre compatriote ordonnant qu’on cessât le supplice, les Antanosses se récrièrent, parce que, si la bête était plumée morte, la chair perdrait de sa délicatesse.

À peu de distance au-delà de Manansoufy, on quitte les états de Lahimerisa, le roi des Antifihérénanes, et l’on entre sur le territoire des Mahafales, les plus insupportables des Malgaches, véritables vautours affamés de tout ce qu’ils aperçoivent. Les villages sont rapprochés sur les bords de l’Anoulahine. Sur la rive droite s’élève le mont Vouhibé ; on le contourne, et bientôt après avoir traversé une petite rivière qui se jette dans le fleuve, on atteint le premier village antanosse, occupé par quelques esclaves chargés de la garde des bœufs. Au-delà, c’est une plaine sablonneuse ondulée que limite un affluent de l’Anoulahine, le Tahéza, dont les eaux sont utilisées pour l’irrigation de belles rizières, les premières qu’on rencontre en venant de la côte occidentale. Le voyageur arrive à Salavaratse, domaine de Rabéfaner, qui s’est fait connaître à Tulléar pour son amour des cadeaux. Le chef est assis devant la porte de son habitation, les gens de l’escorte s’agenouillent devant le maître ; Rasane, la femme du prince, un peu gâtée par les empreintes de la petite vérole, se fait néanmoins remarquer de l’étranger par sa physionomie douce et gracieuse. Le lendemain, accompagné de Rabéfaner, notre compatriote poursuit sa route vers Saloubé, la capitale des Antanosses émigrés ; on peut