s’y rendre en suivant le cours sinueux de l’Anoulahine, mais le chemin direct longe d’abord le Tahéza et s’enfonce ensuite au milieu de collines nues et arides. Les mœurs, les usages, les superstitions du peuple, que Flacourt observa si bien il y a plus de deux siècles, n’ont pas changé. On s’arrête pour prendre le repas du matin, et le prince antanosse refuse de toucher à la volaille préparée par les gens de l’escorte : les Zafféramini, on s’en souvient, ne mangent que la viande des animaux tués par des hommes de leur caste ; ils n’ont pas le même scrupule pour des pigeons verts et des perroquets noirs abattus par l’explorateur français. Tout en dévorant comme à des chiens le prince jetait les os à ses favoris, qui recevaient le présent avec des signes de joie. À l’approche de Saloubé, on distingue à la clarté de la lune, au bout d’une perche, une tête sanglante : c’est un Bare qui, la nuit précédente, s’est introduit dans l’enceinte pour voler des bœufs ; pris, le misérable a été sur l’instant mis à mort, selon la justice expéditive des Malgaches. Zoumaner, le principal chef des Antanosses émigrés, réside dans le village : l’ardent désir qu’il manifeste est de se lier avec l’étranger par le serment du sang. L’avidité se dissimulait sous les démonstrations d’amitié ; comme Rabéfaner, le prince de Saloubé se préoccupait des cadeaux qui devaient lui être offerts en pareille circonstance. Le voyageur avait trop d’intérêt à conserver les bonnes grâces du personnage pour ne point accueillir sa proposition. La cérémonie a lieu avec les bizarreries dont nous ont entretenus les anciens narrateurs des coutumes des Malgaches ; l’acte consommé, princes et princesses viennent en foule accabler l’Européen de félicitations, le saluant des noms de père, de fils et de frère. Notre compatriote tombe malade ; Zoumaner entend le guérir au moyen de son talisman, et il arrive tenant en main un bout de corne de bœuf enjolivé de perles de verre, qui contient une bouillie noirâtre composée de tous les ingrédiens et de tous les débris imaginables.
Dès son entrée chez les Antanosses, M. Grandidier avait appris que ce peuple était en guerre avec les Bares, ses voisins du côté oriental ; très affecté de cette nouvelle, qui allait mettre obstacle à son voyage, il espérait encore que les hostilités cesseraient bientôt, il attendit ; sa patience s’épuisa, la lutte paraissait devoir être interminable. S’étant convaincu de l’impossibilité de passer sur le territoire des Bares, il prit la résolution de retourner à Tulléar et de tenter la traversée de l’île sous un autre parallèle. Les Antanosses affirment que le pays des Bares est un immense plateau ; on n’a pas d’autre renseignement, et peut-être que longtemps, sur la carte de Madagascar, un vaste espace de la région du sud restera sans la moindre indication.