abandonnés en 1790 par la Russie, trop faible pour braver les menaces de l’Europe. Les Grecs suppliaient alors l’impératrice Catherine de leur donner pour souverain un de ses petits-fils. C’était leur liberté complète et leur autonomie qu’ils réclamaient lorsque quelques années plus tard le souffle puissant de la révolution française vint à passer sur le monde. Cette émotion resta sans conséquence ; elle n’engendra que de nouveaux martyrs.
La dissolution de l’empire ottoman apparaissait cependant chaque jour plus imminente. Retranchés dans leur stupide et pompeuse gravité, les Turcs regardaient d’un œil indifférent le monde se mouvoir autour d’eux. Les autres nations perfectionnaient leurs armes, modifiaient leur tactique, faisaient de la guerre une science. Il y allait de la vie pour tout sultan soupçonné seulement de songer à s’approprier ces progrès. Les Turcs n’avaient gardé que l’orgueil du passé ; ils en avaient perdu les vertus militaires. Si le fanatisme qui avait été jadis l’âme de cette nation se réveillait parfois, s’il semblait l’arracher un instant à son incurable apathie, ce n’était pas pour la conduire contre les infidèles, c’était pour l’ameuter contre les réformateurs. Tout poussait donc un pouvoir usé à l’abîme. Les sultans ne dataient plus leurs décrets « de leur étrier impérial, » ils les dataient du sein des harems où la sédition les avait contraints de s’enfermer. Ces fantômes de souverains ne pouvaient que lâcher la bride à toutes les tyrannies locales. Aussi la situation des chrétiens s’aggravait-elle chaque jour davantage. Dans les villes, ils avaient à redouter les exactions des fonctionnaires turcs, dans les campagnes les violences des soldats vagabonds. Toute sécurité avait disparu, et la sécurité est la seule compensation que le despotisme étranger puisse offrir en échange de la servitude. Les femmes mêmes, d’ordinaire sacrées aux yeux du musulman, se voyaient exposées aux plus grossiers outrages ; le culte, si efficacement protégé jusqu’alors, subissait des affronts qui lui avaient été épargnés au milieu de la plus grande effervescence de la conquête. En quelques années, le désespoir, la soif de la vengeance, eurent peuplé les montagnes de bandits. Ces klephtes avaient pour complices les nombreux mécontens que remuait jusqu’au fond du cœur leur audace. Tous les chrétiens d’ailleurs n’avaient pas été désarmés. La Thessalie et la Macédoine avaient leurs armatoles ; les Maniotes occupaient le massif du Taygète, les Souliotes les gorges où l’Achéron prend sa source. La Grèce était donc enfin mûre pour une insurrection. Il suffisait que la Russie en donnât de nouveau le signal. Chose étrange, ce fut précisément la Russie qui, par les allures qu’elle venait d’imprimer à la politique générale, recula de cinq ou six ans l’explosion.
La sainte-alliance n’avait pas de plus fervent apôtre que l’empe-