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aspirations que les systèmes plus ou moins compliqués auxquels il donne naissance par mille associations et enchevêtremens divers. « Les machines de la nature, dit Leibniz, sont machines partout, quelque petite partie qu’on y prenne, ou plutôt la moindre partie est un monde infini à son tour, et qui exprime même à sa façon tout ce qu’il y a dans le reste de l’univers. Cela passe notre imagination, cependant on sait que cela doit être, et toute cette variété infiniment infinie est assurée dans toutes ses parties par une sagesse architectonique plus qu’infinie[1]. »

Mais quelle est en soi l’énergie vitale propre à ces petites machines, l’énergie que nous voyons persister dans les parties disjointes de l’organisme et réparer les vides opérés dans les tissus ; quel est le caractère fondamental, indice de la vie ? C’est la nutrition, c’est-à-dire ce fait aussi évident qu’inexpliqué de la rénovation moléculaire continue de la substance organisée. C’est dans la connaissance des phénomènes de nutrition ou trophiques qu’est tout l’avenir de la biologie. On n’aura le secret des actes vitaux les plus profonds et les plus essentiels que le jour où l’on connaîtra les équations de l’équilibre et du mouvement des systèmes fugitifs et en état d’incessante métamorphose qui constituent ces élémens anatomiques.

Quelque avenir que comporte la connaissance des phénomènes trophiques, la notion que la philosophie de la nature nous procure de la vie ouvre dès aujourd’hui une voie nouvelle aux investigations. Elle suggère l’idée de rechercher les variations de déterminisme physiologique, c’est-à-dire d’étudier les limites entre lesquelles se meut la vie, ou, en d’autres termes, de quelles modifications profondes sont susceptibles les organismes soit au point de vue du type spécifique, soit à celui des mécanismes intérieurs. Le dessein d’une pareille entreprise est le plus hardi de tous ceux que l’imagination et la science humaine conçoivent dans le domaine de l’activité scientifique. Cependant M. Claude Bernard, qui n’est pas suspect d’infidélité à la méthode expérimentale, n’hésite point à le considérer comme légitime. Il est convaincu qu’en agissant sur les phénomènes évolutifs, on pourra changer la configuration et transformer la disposition des organes. « L’observation nous apprend, dit-il, que par les actions cosmiques, et particulièrement par les modificateurs de la nutrition, on agit sur les organismes de diverses façons, et l’on crée des variétés individuelles qui possèdent des propriétés spéciales et constituent en quelque sorte des êtres

  1. Lettre à Bossuet. Œuvres inédites, publiées par M. Foucher de Carell, t. Ier, p. 276.