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de cette réforme. L’eau-de-vie fut frappée d’un lourd impôt et d’interdictions diverses ; par surcroît, à la suppression d’un fléau redoutable vint s’ajouter l’avantage d’une exportation considérable de grains consacrés jadis à empoisonner la population suédoise. Le roi Oscar avait coutume de dire qu’à ses yeux c’était là le plus considérable et le plus heureux résultat de son règne. Il avait encore préparé une autre réforme à laquelle Bernadotte, que les difficultés parlementaires avaient le don d’irriter, n’aurait jamais mis la main : c’était celle de la représentation nationale. Ces progrès législatifs, l’ouverture des premiers chemins de fer en Suède, un nouveau développement du commerce et de l’industrie, voilà pour l’intérieur les traits principaux de ce règne bienfaisant. À l’extérieur, la politique d’Oscar Ier avait été prudente, non sans hardiesse. Le pacte conclu par Bernadotte avec la Russie, il l’avait déchiré ; la convention du 18 novembre 1855, si la guerre d’Orient eût continué, aurait ouvert au nord de l’Europe tout un autre avenir. L’attitude habile et honorable d’Oscar, utile en tout cas aux deux royaumes, avait ménagé au cabinet de Stockholm une réelle influence lors de la conclusion de la paix. Oscar avait fait enfin des pas très significatifs dans la voie du scandinavisme, alors que le péril du Danemark et les menaces de l’Allemagne exaltaient le sentiment de solidarité qui unit les trois peuples scandinaves.

Il semble qu’il n’y eût pour Charles XV qu’à continuer l’œuvre de son père et à recueillir la moisson semée par lui. Eh bien ! il ne faut pas s’y tromper : rien que pour être un continuateur utile, Charles XV devait être différent d’Oscar Ier, parce qu’autour de lui les temps et les esprits avaient changé. Oscar avait grandi et s’était formé dans la sphère honnête et moyenne des idées constitutionnelles. Il avait été témoin sans doute de 48 et de 52, c’est-à-dire d’un malfaisant désordre et d’une réaction funeste, mais il est permis de croire que de tels spectacles l’avaient encore affermi dans ses convictions de politique et de souverain. Charles XV, lui, devait régner au bruit de ces grands coups du dehors, en présence de succès et de désastres inouis, qui étaient de nature à troubler au loin les têtes couronnées plus encore peut-être qu’à les instruire. Charles XV n’eut pas la pensée, il est vrai, d’imiter les coups d’état ni l’absolutisme, mais il fut du nombre de ces princes pour lesquels, pendant un temps, Paris fut un lieu de délices, et auxquels on faisait croire qu’ils rendaient hommage à l’esprit français en ambitionnant une loge à la Grande-Duchesse ou à la Belle-Hélène. Il se rangea ensuite parmi ceux qui furent effrayés de 1866 et atterrés de 1870. Les temps étaient devenus singulièrement durs et âpres. La doctrine des nationalités, doublée de la vaine théorie des grandes agglomérations, l’Autriche foudroyée comme trop dangereuse par