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contre Louis XIV au surjet de la succession d’Espagne. Le fils était d’un caractère tout différent du père, poursuivant aussi l’agrandissement de sa maison, mais dans un autre ordre d’application. Le père avait toujours penché pour Louis XIV, il était peu sympathique à la maison d’Autriche ; le fils crut mieux aviser à ses intérêts en se rattachant à l’empereur et s’éloignant de Louis XIV. Des motifs domestiques l’avaient poussé à la haine de la France. La maison d’Autriche, de son côté, crut utile de rapprocher d’elle un feudataire aussi puissant que l’électeur de Brandebourg, et, en récompense de la coopération, active et dévouée que promettait ce dernier à la guerre de la succession avec un corps de 10,000 hommes, l’empereur souscrivit à Vienne, en 1700, un traité par lequel il s’engageait à reconnaître l’électeur comme roi, sous le nom de Frédéric Ier, à la condition qu’il agît de concert avec lui pendant tout le cours de la guerre, et qu’il promît de donner sa voix dans le collège des princes pour l’élection à l’empire des enfans mâles de l’empereur Joseph. La cour de Rome poussa des cris en voyant s’élever en Europe une nouvelle royauté protestante. L’ordre teutonique réclama contre cet acte et osa revendiquer la Prusse ; mais le roi d’Angleterre, Guillaume d’Orange, qui ne cherchait que des ennemis à Louis XIV, reconnut le nouveau monarque. Le roi Auguste de Pologne, croyant affermir la couronne sur sa tète, suivit cet exemple, et le Danemark s’y conforma également. Charles XII de Suède, qui soutenait une guerre difficile, ne voulut pas augmenter le nombre de ses ennemis, et les états d’empire furent entraînés par l’empereur. L’électeur passa roi. Cependant le prince Eugène de Savoie, dont le suffrage avait tant d’importance dans les conseils de la coalition, ne craignit pas de dire, en apprenant la nouvelle, que « l’empereur devait faire pendre les ministres qui lui avaient donné un conseil aussi perfide[1]. »

Cet assentiment officiel n’empêcha point la société européenne de railler la promotion de l’électeur à la souveraineté dans les conditions où elle se produisait, et à une époque où le : type royal de Louis XIV dominait dans tous les esprits malgré les haines que soulevait son ambition ; on s’égaya donc aux dépens d’un personnage qui prêtait notoirement au ridicule par l’affectation exagérée des grandeurs royales. La création de cette royauté n’a pas échappé aux sarcasmes du grand Frédéric lui-même, autant par le caractère peu digne que montra son aïeul en cette affaire, que par la singularité de l’embarras, où l’on se vit pour lui donner une qualification, territoriale ? il fut sérieusement question d’appeler le

  1. Voyez les Mém. de Brandebourg, p. 185, édit. citée