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nouveau souverain du nom de roi des Vandales. La prétention du duc de Mecklembourg à ce titre fut une des considérations qui décidèrent à y renoncer. L’idée n’en déplaisait point à Frédéric II. L’empereur ne voulait pas, d’autre part, convertir un margraviat électoral en royaume ; le titre même de roi de Prusse offrait des difficultés, parce que le roi de Pologne possédait alors une partie de la Prusse, qui se divisait en royale (de Pologne) et en ducale (de Brandebourg). On s’arrêta au titre de roi en Prusse, que le génie de Frédéric II devait convertir en un titre désormais au-dessus des atteintes du ridicule. Le couronnement se fit l’année suivante (1701), et ce fut en mémoire de cet événement que fut institué l’ordre de l’Aigle-Noir. « Le public ne pouvait toutefois, dit le grand Frédéric, revenir de la prévention où il était contre cette royauté. Le bon sens du vulgaire désirait une augmentation de puissance comme sanction d’une augmentation de dignité ; ceux qui n’étaient pas peuple pensaient de même, et il échappa à l’électrice de dire à quelqu’une de ses femmes qu’elle était au désespoir d’aller jouer en Prusse la reine de théâtre vis-à-vis de son Ésope[1]. »

Frédéric II ajoute ici une impertinence dont je lui laisse la responsabilité relativement à la création de l’académie des sciences. « On persuada, dit-il, à Frédéric Ier qu’il convenait à la royauté d’avoir une académie comme on fait accroire à un nouveau noble qu’il est séant d’avoir une meute. » Leibniz fit taire les médisans ; mais l’Europe s’amusa des travers d’un esprit médiocre, tout en mettant à profit le militarisme organisé par le grand-électeur. Les services qu’on en tira firent tout oublier. Tant que dura la guerre de la succession, les troupes de Brandebourg soutinrent avec éclat la réputation qu’elles avaient acquise sous le grand-électeur. L’habile Marlborough, en flattant la vanité du nouveau roi, en obtint des secours extraordinaires dont le détail, s’il ne s’agissait point d’aussi grandes choses, eût ajouté une scène piquante à la comédie du Bourgeois gentilhomme. A la paix d’Utrecht, Frédéric Ier obtint encore quelques avantages, que son père et son petit-fils auraient su rendre plus utiles pour leur couronne. Un des articles du traité consacre la reconnaissance du roi de Prusse par la France. Il mourut peu de temps après, et fit place à son fils Frédéric-Guillaume Ier, qui a marqué dans l’histoire par la bizarrerie à demi sauvage de son caractère.

Religieusement appliqué au développement de la politique intérieure de sa race, il fit du Brandebourg un vaste camp, et de Berlin une caserne. Les habitans furent non plus un peuple, mais un

  1. Mém. de Brandebourg, p. 186, édit. citée.