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y avait parmi eux des hommes politiques, personnages de la vieille et de la nouvelle cour, des abbés mondains, des jeunes gens à l’humeur satirique, spectateurs joyeux ou chagrins de la tragi-comédie qui se jouait alors : en dépit de cette diversité d’humeur et d’opinions, ils se sont accordés à regretter l’exilée, à la consoler, à la distraire ; pour elle ont couru sur ces pages que le temps a jaunies les plumes mordantes et les crayons moqueurs, — la marquise de province a séduit Paris comme Paris la séduisait elle-même. Évoquons le souvenir de la brillante société dont elle était l’âme et l’entretien malgré l’absence, faisons revivre autour d’elle les conteurs dévoués qui lui prouvaient leur attachement par leur fidélité à médire ; en écrivant ces feuilles éparses, devenues les archives d’une femme de goût qui aimait à relire, ils ont enrichi de nouveaux mémoires la liste déjà longue des indiscrétions de la régence.


I

La marquise de La Cour de Balleroy était une Caumartin. Elle avait pour frères trois hommes d’un rare mérite, à qui ne manquaient ni les qualités aimables ni cette illustration particulière que donnent les suffrages de la bonne compagnie, et que l’histoire anecdotique sauve de l’oubli. L’aîné, Caumartin de Saint-Ange, élevé par Fléchier, loué par Boileau et Jean-Baptiste Rousseau, est le plus connu des trois ; en 1691, membre de la commission des grands-jours à Angoulême, il tira de l’oisiveté provinciale la forte race des d’Argenson, et, l’unissant à sa famille, il l’établit à Paris dans les emplois politiques ; en 1717, il recueillit à Saint-Ange Voltaire, échappé de son exil de Sully, et lui inspira, avec l’amour d’Henri IV, l’idée de la Henriade. Conseiller d’état, intendant des finances, fort apprécié de Pontchartrain, son parent, il joignait à des talens supérieurs une intégrité que Saint-Simon lui-même a reconnue ; avec cela, une politesse parfaite, et, par-dessus ce fond solide et vertueux, l’extérieur le plus imposant. On le citait pour l’agrément de sa conversation et pour la noblesse de ses manières dans un temps qui avait porté si loin la perfection des bienséances délicates et la majesté des apparences ; mais le trait original était chez lui une vaste mémoire, nourrie d’expérience et d’étude, d’où s’épanchait un savoir inépuisable relevé de l’esprit le plus fin. Son frère, Caumartin de Boissy, intendant du commerce, a laissé un nom moins célèbre qui s’est comme éclipsé dans l’éclat du précédent ; les nombreuses lettres de lui que contient la correspondance de la marquise montrent qu’il était digne de son aîné par les saillies d’une imagination piquante et par un caractère de supériorité aisée dont son langage est le reflet. On peut voir en lui un exemple de