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est plus libre que jamais ; modérés dans notre administration, nous n’avons parlé jusqu’à ce jour qu’au nom du progrès que nous apportions et dont nous promettions les bienfaits. Pouvait-on changer tout à coup de langage, alors que l’on venait de se rendre un compte exact de la richesse du pays, et substituer à une ligne de conduite qui déjà portait ses fruits le régime de l’arbitraire ? La France a tenu à honneur de laisser aux idées civilisatrices le soin d’achever sa conquête ; c’est par le développement de ces mêmes idées qu’elle fera rendre à ce sol tout ce que la nature lui a donné de fécondité. L’indigène est lent, apathique, insouciant de son bien-être, ignorant des causes qui peuvent l’augmenter : travaillons à répandre l’instruction dans ce pays, dont nous avons pris la tutelle ; que les résultats de notre travail fassent naître chez ses anciens possesseurs le désir de nous imiter. Hâtons le progrès, rendons-le clair aux yeux de tous, mais ne l’imposons pas ; ce serait tuer la poule pour avoir les œufs.

Le mouvement s’opère lentement sans doute, et l’on comprend que les premiers pas aient été les plus difficiles ; on peut cependant constater dès à présent un état d’amélioration sensible dans l’esprit des populations. Les écoles se multiplient, les enfans y apprennent assez rapidement à connaître les caractères de notre écriture et les premiers élémens d’arithmétique et de géométrie. L’état civil vient d’être établi pour les villages ; il contribuera puissamment à relever le niveau moral des classes inférieures, trop souvent oublieuses de leur dignité sociale. La vaccination est rendue obligatoire, et le pays, jusqu’à ce jour sans défense contre les ravages de la variole, verra bientôt diminuer la mortalité qu’elle y cause. Les Annamites ont compris l’importance de ces mesures, si directement appropriées à leurs intérêts, et les ont acceptées sans répugnance. Aux alentours des centres que nous occupons, la condition de l’habitant s’améliore : là où n’existaient que des cases de paille s’élèvent aujourd’hui des maisons de bois, et déjà quelques propriétaires commencent à bâtir en pierre.

Un missionnaire parcourait un jour les provinces pour y répandre la vraie foi. Arrivé dans un village, il monta sur une borne et se mit à enseigner les beautés de la religion du Christ. L’auditoire restait froid. Un Annamite influent dans le pays, dévoué à notre cause, passait par là, et, voyant de quoi il s’agissait, lui dit : « Permettez-moi de parler à ces gens. » Il monta sur la borne et s’exprima ainsi : « Avant l’arrivée des Français dans l’Annam, vous n’aviez pas d’impôts fixes à payer, mais vous devez pourtant vous souvenir que fréquemment l’on vous prenait autant de sacs de riz, autant de poules et de porcs qu’on en voulait bien prendre ;