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finitive de notre sol à reconquérir. Du moins cette fois le roi Guillaume ne tient plus ses réceptions du jour de l’an à Versailles pendant que la France et Paris en sont à se chercher sans pouvoir se rejoindre. Il y a une assemblée et un gouvernement qui représentent le pays dans son unité nationale ; nous n’avons plus trois cent mille captifs en Allemagne. La hideuse sédition, sans être absolument vaincue, est désarmée, contenue, et ne menace pas d’achever l’œuvre destructive de la guerre étrangère. On n’en est plus enfin à ces terribles momens où, selon la saisissante expression que M. le président de la république employait hier encore, on était tenté de fermer les yeux pour ne point voir, en se demandant comment on sortirait, si même on pourrait sortir de l’effroyable abîme ouvert tout à coup par les événemens. Le pays, en un mot, a retrouvé le droit et la possibilité de respirer un instant, et, comme M. Thiers le disait dans son dernier message avec une raison politique supérieure, si l’on veut être juste pour ce qui existe, si l’on veut mesurer avec équité le chemin qu’on a parcouru, les efforts qui ont été accomplis, il faut se reporter à dix mois en arrière, il faut remettre en présence ces deux dates du dernier jour de décembre 1870 et du dernier jour de décembre 1871, qui résument toute une histoire.

La France en est là aujourd’hui, plus qu’à demi libre sans doute, dégagée de la plus dure étreinte de cette fatalité qui s’était abattue sur elle, heureuse après tout de se retrouver en paix au lendemain d’une telle crise, mais en même temps ayant devant elle l’œuvre la plus laborieuse, la libération de son territoire à compléter, ses finances à remettre au niveau de ses charges, son organisation publique à refaire. Que cette œuvre pratique et nécessaire doive rencontrer bien des obstacles, qu’elle soit exposée à se compliquer de toute sorte d’incidens imprévus, des contradictions ou des impatiences des partis, des difficultés que l’étranger lui-même peut susciter, on ne le sait que trop ; il faut s’y attendre et s’armer d’une patiente résolution pour cette lutte d’un nouveau genre où la modération, le bon sens, l’esprit d’abnégation, peuvent seuls triompher de tous les embarras d’une formidable crise nationale. Si la France était trop prompte à l’illusion et à l’oubli de ses récentes infortunes, M. de Bismarck se chargerait de la ramener de temps à autre au sentiment de la réalité ; il nous rappellerait au besoin qu’il occupe encore six de nos départemens, que nous lui devons beaucoup d’argent, que tout n’est point fini entre la France et l’Allemagne. C’est ce qu’il vient de faire tout récemment avec une brutalité calculée dans une dépêche qu’il a chargé M. d’Arnim de nous communiquer, et où il prend prétexte de l’acquittement par des jurys français de deux individus accusés de meurtre contre des Prussiens. M. de Bismarck ne se contente pas de mettre en état de siège les départemens occupés, il menace pour l’avenir de prendre des otages français, si on lui refuse l’extradition des accusés qu’il lui plaira de réclamer, et à la dernière extrémité il laisse même entrevoir l’éven-