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tualité de « mesures plus étendues. » Le chancelier allemand ne dédaigne pas de nous prévenir que, d’après ces circonstances, il considère comme prématuré « l’espoir de voir renaître entre les deux pays la confiance réciproque, » tout cela parsemé des aménités habituelles sur l’extinction de l’idée du droit dans la nation française, sur l’éducation morale et le sentiment de l’honneur particuliers au peuple allemand. M. de Bismarck a tenu sans doute à ne pas nous laisser commencer l’année nouvelle sans nous adresser le témoignage de ses sentimens, d’ailleurs bien connus et peu faits pour nous surprendre ; il nous a envoyé sa carte de visite, et à celle-là du moins M. Thiers disait hier qu’il était de notre dignité de ne répondre que par le silence.

C’est qu’en effet il est des situations où il n’y a rien à répondre, où l’outrage gratuit n’offense pas plus celui qui le reçoit qu’il n’honore celui qui se le permet. M. de Bismarck a l’orgueil de ses succès, il se figure avoir conquis le droit de tout dire, et il abuse naturellement de son droit. Il croit utile de rajeunir de temps à autre sa popularité en donnant une expression à toutes ces animosités violentes, passionnées, et même quelquefois ridicules, dont la France est maintenant l’objet en Allemagne, qui sont devenues de véritables lieux-communs au-delà du Rhin. C’est sa politique, c’est sa manière d’apaiser les haines, de travailler à faire renaître « entre les deux pays la confiance réciproque : » libre à lui, quoiqu’en vérité ce soit assez peu sérieux pour un homme d’état qui pourrait avoir autre chose à faire en ce moment que de diffamer la France. Le chancelier allemand se conduit aujourd’hui comme un autre victorieux qui de son temps valait à lui seul M. de Bismarck, M. de Moltke et l’empereur Guillaume réunis, comme on l’a dit un jour à Versailles, qui traita la Prusse avec une rudesse fort peu prévoyante et fort peu profitable. Ce victorieux, dans l’ivresse de la force, commit l’indignité de couvrir d’ironiques outrages une souveraine aimable et populaire qui avait peut-être poussé à la guerre, la reine Louise de Prusse, la propre mère du roi actuel. Qui a le plus souffert dans sa gloire de ces indignités ? Est-ce celle qui en était la victime ? N’est-ce point celui qui se les permettait et qui laissait répéter, qui répétait lui-même les grossières confidences de ses agens ? La victime dévouée aux ironies outrageantes, la reine Louise, pour ces victorieux qui s’appellent M. de Bismarck et les Allemands, c’est aujourd’hui la nation française, cette malheureuse nation qui a naturellement tous les défauts et même tous les vices. Il faudrait cependant s’entendre, il faudrait en finir avec toutes ces polémiques tudesques sur l’immoralité française, sur ce qu’on appelle élégamment au-delà du Rhin la « pourriture parisienne ! » On dirait, à entendre cette teutomanie pudibonde et grotesque, que l’immoralité, dans ses voyages à travers le monde, a fini par s’établir exclusivement en France. Elle est malheureusement en France sans doute, elle y est beaucoup trop, et elle est en Allemagne au moins autant qu’en