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France, à Berlin, à Munich et dans les grandes villes d’outre-Rhin autant qu’à Paris. Plus d’un Allemand au sens rassis, à l’esprit moins troublé par la fumée d’une victoire imprévue, commence à s’en apercevoir. On n’a qu’à consulter certaines statistiques, certaines publications récentes, et même les journaux, pour voir que cette prétendue pureté germanique et ces vertus de famille dont on parle tant depuis Tacite sont de vieilles histoires, — que, s’il y a encore des juges à Berlin, il y a aussi tous les vices qu’on reproche à notre civilisation française. Ce qui manque par exemple chez ces victorieux moralistes qui ne savent voir que la corruption de leurs voisins, c’est l’esprit, puisque de pesans pédagogues, sur la foi d’un titre qu’ils n’entendent même pas, prennent des livres inoffensifs destinés aux enfans pour de la littérature du demi-monde.

Laissons ces vaines querelles indignes de deux peuples entre lesquels on s’efforce de souffler la haine dans un intérêt d’ambition et de conquête. L’Allemagne est l’Allemagne, la France est la France, et elle n’a point épuisé sa vieille sève de générosité, de dévoûment et d’héroïsme. Après cela, M. de Bismarck, qui nous donne des leçons si opportunes sur le droit, sur l’éducation morale du peuple allemand, sans parler du bon goût, qui ne lui est pas moins particulier que le sens moral, M. de Bismarck fera ce qu’il voudra ou ce qu’il pourra. Il peut, s’il le veut, offrir à l’Europe le spectacle d’un gouvernement élevant l’outrage à la hauteur d’une diplomatie et appliquant la loi des otages à de malheureuses populations sans défense. Nous ne prétendons pas lui prouver qu’il dépasse son droit, il rirait de nous. Il résulte seulement de tels incidens un devoir plus étroit pour le patriotisme français, qui plus que jamais doit comprendre que ce n’est pas le moment de se livrer à toutes les fantaisies, que tout ce qu’on peut se permettre de violences, d’excès ou d’imprudences, est payé par des compatriotes laissés temporairement sous la domination étrangère. C’est à tous ceux qui aiment sérieusement leur pays de se souvenir sans cesse qu’il y a aujourd’hui un intérêt auquel tout doit être subordonné, l’intérêt de la délivrance du sol national, et que, pour arriver à cette délivrance, le seul moyen est de nous préparer par notre reconstitution intérieure, par le patriotique apaisement de nos discordes, par la réorganisation de nos finances, à l’acquittement de notre douloureuse rançon. La dépêche de M. de Bismarck est certainement choquante, nous en convenons ; elle est jugée ainsi par l’Europe, et à moins qu’elle ne cache un profond calcul, elle ne peut que tourner contre le but qu’on se propose. Elle ne serait point inutile, si l’on voulait bien la relire une fois tous les jours, avant de se livrer à la fureur des partis ou aux discussions vaines.

La vraie question est là, c’est ce dont il faudrait se souvenir, c’est ce dont on ne se souvient pas toujours, même quelquefois avec les meilleures intentions, quand on jette sur notre chemin toute sorte d’intérêts qui pourraient avoir leur valeur dans d’autres momens, qui ne sont au-