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démagogie couronnée. A côté des faiblesses de la tradition révolutionnaire pour l’autorité et la dictature, il ne faut point oublier ses faiblesses pour les mouvemens désordonnés. Tout ce qui s’insurge est toujours le peuple ; tout ce qui viole la loi, c’est le peuple ; tout ce qui est ignorant, brutal, c’est le peuple ; tout ce qui veut quelque ordre et quelque règle, quelque limite, c’est toujours la trahison, le privilège, la réaction. Si quelque chose peut contribuer à changer un jour malheureusement ce peuple en populace, c’est cette faiblesse pour ses erreurs et ses fautes, qu’il ne faut point confondre avec une juste pitié pour ses misères. Que la démocratie, après avoir répudié, comme le fait M. Quinet, la tradition de la dictature révolutionnaire, répudie également la tradition de la démagogie révolutionnaire ; si lui-même l’eût fait dans une occasion récente, il eût travaillé plus efficacement pour sa cause que par le silence, car, si la victoire devait un jour, pour notre malheur à tous, appartenir au césarisme, ce serait la crainte de la démagogie qui lui livrerait encore une fois nos destinées, les hommes de tous, les temps et de tous les pays étant toujours prêts à sacrifier la liberté à la sécurité.


II. — LA CRITIQUE FRANCAISE. — LA CRITIQUE ALLEMANDE. — M. DE TOCQUEVILLE. — M. DE SYBEL.

L’année 1852 a déterminé une véritable crise dans la philosophie de la révolution française. Une profonde déception, une déviation inouïe des principes jusque-là chers au pays, on le croyait du moins, une tendance malheureuse à sacrifier les résultats moraux de la révolution aux résultats matériels, une nouvelle forme d’absolutisme se produisant sous le prestige même des idées qui avaient dû effacer à jamais le despotisme du monde, — en même temps une science un peu plus étendue, une comparaison de notre état avec celui des peuples voisins, la triste conviction trop justifiée par l’expérience que plusieurs de ces peuples, sans tant de crises ni de désastres, avaient atteint peu à peu par le cours des choses cette liberté politique que nous avions rêvée et que nous avions manquée, et même, au point de vue de quelques grandes libertés sociales, nous avaient devancés et surpassés, tandis qu’un grand peuple au delà de l’Atlantique réalisait à la fois dans toute son étendue ce grand programme de liberté et d’égalité dont nous commencions déjà à sacrifier la moitié, sauf plus tard à abandonner l’autre : toutes ces vues, toutes ces réflexions, expériences et comparaisons ont contribué à jeter des doutes sur cette croyance à la révolution que tous partageaient à quelque degré, les sages avec réserve, les exaltés avec fanatisme, mais qui semblait faire partie de la