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En résumé, la critique française et la critique allemande, par des motifs différens, aboutissent à la même conséquence, à savoir que la révolution a péché par deux grands vices, le culte de la force, l’exagération de l’idée de l’état. Tandis que l’une impute ces deux maux à la révolution, comme si elle les eût créés, l’autre plus profonde en trouve l’origine dans l’histoire. Cette phase de la critique française, représentée par Tocqueville, va être bientôt dépassée en France même par une autre critique plus sévère et plus hardie.


III. — LES DERNIERS CRITIQUES. — MM. E. RENAN ET COURCELLE-SENEUL.

De tous les écrivains remarquables qui dans notre siècle ont remué les esprits, il n’en est pas un qui n’ait tenu à honneur de s’expliquer sur la révolution. M. Cousin, dans son introduction aux Fragmens politiques, M. Guizot, dans ses Mélanges politiques, M. de Rémusat, dans sa Politique libérale, d’un souffle si noble et si généreux, Mme G. Sand, dans ses romans et dans mille pages éparses, tous ont émis des jugemens intéressans, dignes d’être recueillis, sur les principes, les causes, les effets, les lacunes de la révolution ; mais ces vues rentreraient toutes plus ou moins dans les cadres déjà signalés ; nous devons nous borner dans ce travail rapide à ce qui paraît être une phase précise et nouvelle de la philosophie de la révolution. Or, ce caractère, nous croyons le trouver dans les quelques pages éparses que M. Ernest Renan a consacrées, selon l’occasion, à ce grand sujet. On voudrait qu’il les eût condensées et développées dans un ouvrage ; mais telles qu’elles sont, et même dans leur état de dispersion, elles constituent une manière de penser particulière et très arrêtée, qui est véritablement, selon l’expression hégélienne, un moment de l’idée de la révolution. Avons-nous besoin de dire que tout ce qui sort de cette plume a une souplesse, une grâce de formes qui rendent tout spécieux, et qui, malgré la rébellion d’un froid jugement, captivent et subjuguent le lecteur ?

Jusqu’ici nous avions rencontré bien des amis, bien des ennemis de la révolution, amis de toutes nuances, ennemis de tous degrés, mais en général tous les ennemis venaient d’un certain camp, tous les amis de l’autre. En général, du côté de la foi orthodoxe, étaient les adversaires, du côté de la libre pensée les adhérens. Si l’on avait vu des croyans passer à la cause de la révolution, on n’avait guère vu d’incrédules qui lui fussent contraires. Ici, c’est un libre penseur qui se range parmi les ennemis déclarés, ou tout au moins parmi les censeurs très sévères de la révolution : c’est l’un des maîtres de la critique qui défend la foi monarchique et aristocratique contre les préventions des démocrates, c’est l’auteur de la