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instigations, abandonna la maison qu’elle occupait dans l’enclos de M. Pritchard, et alla chercher un refuge à bord du bâtiment que commandait le capitaine Hunt. Tout vestige du pouvoir auquel nous avions conservé la plupart de ses prérogatives, bien qu’il nous eût paru convenable de ne pas lui laisser son drapeau, semblait ainsi s’effacer devant nos persécutions. On nous rendait odieux en se montrant craintif. « Dans le trouble d’esprit qui agitait cette malheureuse femme, écrivait le capitaine Hunt au commandant Bruat, je n’ai point osé lui refuser la protection du pavillon anglais. » Ne croirait-on pas voir la pauvre Pomaré, comme l’appelèrent bientôt les feuilles britanniques, échappant par la fuite aux ennuis de tout genre dont nous l’abreuvions ! Cette hypocrite pitié n’avait cependant, — est-il en vérité besoin de l’affirmer ? — ni motif ni prétexte. La reine était libre, et, si quelque demande lui avait été adressée, c’était celle d’attendre avec calme les résolutions qui arriveraient bientôt de la métropole. La démarche à laquelle on l’avait poussée ne pouvait donc créer que des complications nouvelles. Le gouverneur s’en expliqua très nettement avec le capitaine Hunt. « Du moment, lui écrivit-il, qu’il convenait à la reine de renoncer à la protection dont je la couvrais, vous pouviez parfaitement lui donner asile ; mais la reine, à dater de ce jour, s’est interdit la faculté de rentrer à son gré dans ses états. Je considérerai comme un acte formel d’hostilité son débarquement sur un point quelconque des îles de la Société. »

« La fuite de Varennes » fût en effet restée inexplicable, si elle n’eût été déterminée par quelque secret et pernicieux dessein. Celui que le gouverneur dénonçait par avance au capitaine Hunt ne pouvait s’accomplir sans que notre autorité en reçût à Taïti même la plus sérieuse atteinte. Les îles de la Société se composent de deux groupes distincts séparés par une distance de 80 milles environ, vaste espace de mer que les pirogues des Indiens n’hésitent pas à franchir. Le premier de ces groupes comprend Taïti avec ses deux cônes volcaniques reliés par l’isthme de Tarawao, — Morea, qu’un étroit canal de 8 milles au plus met en relations journalières avec le port de Papeïti, — Toubouaï, situé à 35 milles de Morea. Dans ces trois îles, le pouvoir de la dynastie de Pomaré s’est toujours exercé d’une façon directe. Dans le second groupe, connu sous le nom d’îles sous le Vent, et formé par les îles de Huahiné, de Raiatea et de Borabora, les chefs avaient adopté les enfans de la reine et lui avaient ainsi, suivant les usages de la Polynésie, conféré des droits de souveraineté. Ces trois dernières îles possèdent des ports. Il eût donc été très imprudent d’y laisser constituer une domination rivale de la nôtre. Le gouvernement français dès le premier jour l’avait compris, mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que cette