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domination pût être encouragée par les prétentions mêmes que nous avions reconnues pour nous en porter héritiers.

Le Basilisk cependant ne songeait pas à quitter Taïti. Sa présence nous y créait de plus grands embarras que n’eût pu le faire l’exécution du projet dont le gouverneur croyait le capitaine Hunt complice. L’agitation, qui jusqu’alors s’était bornée à de sourds mécontentemens, prenait peu à peu le caractère d’une sédition ouverte. Les grands chefs, Tati, Utomi, Hitoti, Paraïta et Taraïpa, réunis à l’hôtel du gouvernement, avaient, il est vrai, accepté l’investiture des territoires qu’ils devaient administrer suivant les lois du pays ; les petits chefs, plus accessibles aux conseils étrangers, plus habitués à subir l’ascendant de l’autorité royale, avaient précipitamment évacué leurs cases, et s’étaient retirés sous la conduite de Tariri, de Pitomaï, de Farchau, de Teraï, dans la presqu’île de Taïrabou. C’est là que, recrutant sur tous les points de l’île de nombreux adhérens, s’organisait, comme dans un vaste camp retranché, le parti de la résistance.

L’effectif total des troupes françaises envoyées dans l’Océanie n’était que de 1,200 hommes, et encore avait-il fallu, pour les porter à ce chiffre, livrer de rudes batailles à l’opposition. De ces 1,200 hommes, 700 avaient dû être laissés aux Marquises, où la population se montrait fort remuante. Le gouverneur de Taïti avait donc 500 soldats à peine à opposer à l’insurrection, mais il prit, dès le début, une excellente mesure. Au lieu d’aller chercher les insurgés dans leur camp, il se contenta d’intercepter par un fortin bâti sur l’isthme de Taravao la communication entre les deux parties de l’île. Ce fut à cette occasion et avant l’achèvement de l’ouvrage qui devait dominer l’isthme tout entier que les premiers coups de fusil s’échangèrent avec les rebelles. « Ces hommes ne sont pas, écrivait le commandant Bruat, ce qu’on nous avait dit. Ils ont montré beaucoup plus de résolution qu’on ne leur en supposait. Le canon même ne les a pas fait fuir. »

Cette appréciation des difficultés qui nous attendaient n’était que trop exacte. Loin d’intimider les Taïtiens, le combat de Taravao, où leurs pertes furent peu considérables, avait exalté leur audace. Une femme de sang illustre, Teritoua, grand chef de Merehu, s’était mise soudainement à la tête de la révolte, et, en lui apportant avec l’appui de son nom l’exemple de son courage, elle allait lui imprimer une impulsion nouvelle. Ce ne fut plus seulement dans la presqu’île de Taïrabou qu’à dater de ce jour on brava notre autorité, ce fut sur la grande terre, sur la côte opposée au district de Papeïti, que les insurgés osèrent arborer le drapeau de la reine ; 1,500 combattans se trouvèrent bientôt réunis à Mahahena. Ils y avaient creusé, sur une longueur de 1,800 mètres, trois fossés de 6 à