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fixer de leurs personnes, les territoires qu’on leur loue. Mainmorte, fermiers non résidens, voilà le résumé de toutes les misères agricoles du pays. En effet, qui pouvait s’inquiéter d’améliorations ? Le prince, le grand seigneur ? Mais dans l’aristocratie romaine il était de mode de ne mettre le pied sur ses terres que pour chasser, ou dans ses villas que pour y faire une courte villégiature. Se préoccuper de soins vulgaires, c’eût été déroger, on ne l’eût osé. Ce n’est pas d’ailleurs au Corso, ni au Monte-Pincio, encore moins dans les salons où se concentre et s’étiole la noblesse romaine, ni au séminaire ou sous la direction du précepteur-abbé auquel on confie la jeunesse, que tout ce petit monde doré eût appris l’importance des travaux rustiques. Aussi est-il presque sans exemple qu’un patricien de la Rome moderne se soit occupé de ses propriétés autrement que pour démêler des comptes embrouillés avec ses intendans, ou entretenir tant bien que mal ses villas. L’eût-il voulu d’ailleurs, il ne l’aurait pas pu. Ses rapides voyages à l’étranger n’ont été que des excursions d’agrément ; l’économie rurale n’a jamais fait partie de son éducation. Enfin le voulût-il essayer, il ne pouvait le faire pour des motifs qui méritent notre attention.

Lorsqu’un propriétaire veut exploiter lui-même son bien, il faut qu’il ait un capital disponible à employer en troupeaux, instrumens aratoires, semailles, salaires aux journaliers. S’il a le malheur de ne posséder qu’une terre nue, il faut qu’il commence par construire une maison d’habitation, des bâtimens ruraux, étables, bergeries, granges, etc. Or comment faire ces dépenses sur plusieurs lieues carrées de terrain ? Ce qu’on pourrait essayer en petit, on ne peut songer à l’entreprendre en grand, fût-on prince et presque roi. Prenons pour exemple l’illustre maison Borghèse. — On dit qu’elle possède environ le dixième du patrimoine de Saint-Pierre, possession complète, presque absolue, naguère du moins, puisque des villages et des bourgs lui appartenaient, lui payant impôt et la reconnaissant comme leur padrone après le saint-père ou de par le saint-père. Voudrait-on qu’un prince Borghèse s’avisât de tenter tout à coup la transformation de la dixième partie de ce royaume en une Beauce plantureuse ou en une verdoyante Normandie ? Cela dépasse les forces d’un homme qui n’est pas prince régnant, et qui ne peut imposer ses volontés que par cette force qui s’appelle l’argent.

L’argent, en ont-ils les pauvres princes romains ? L’ex-financier Torlonia a pu entreprendre de dessécher le lac Fucino pour le rendre à l’agriculture ; mais celui-là était banquier, il gagnait d’une main ce qu’il dépensait de l’autre. Quand il affermait les tabacs ou négociait des valeurs, il pouvait oser de grandes choses, plus éclatantes du reste que fécondes. S’il n’avait eu que les 1,500,000 francs de